18 septembre 1997 |
Des biologistes recréent le Nord en laboratoire
pour mieux comprendre comment carburent les oies blanches
Chaque jour à la même heure, pendant tout le mois d'août, l'allée gazonnée qui s'étend entre les pavillons Vachon et De Koninck était la scène d'un étrange spectacle. Une dizaine d'oisons sauvages trottaient cahin-caha sur l'herbe fraîche, broutant au passage les pousses les plus appétissantes tout en ignorant les mimiques des passants ébahis. Jamais ceux-ci n'auraient pu deviner que derrière ce tableau pastoral se cachait la science en mouvement.
Nouvelle méthode biologique de coupe des gazons? Fertilisation naturelle des pelouses? Non, c'était tout simplement l'heure de la récré pour un petit groupe d'oies blanches qui participaient à d'intensives expériences de thermorégulation dans le laboratoire de Jacques Larochelle, du Département de biologie.
Du Nord au Sud
Originales avant même de voir le jour, ces oies étaient encore
dans l'oeuf lorsqu'elles ont fait leur premier vol entre l'Arctique canadien
et Québec... en classe économique. En juillet, un membre de
l'équipe du professeur Gilles Gauthier, qui étudie les grandes
oies blanches sur leurs aires de nidification de l'Île Bylot, s'était
chargé de rapporter une précieuse cargaison de 16 oeufs, en
avion, jusqu'à Québec. Les premiers visages que les oisons
ont vus en sortant de leur coquille, ceux de l'étudiante-chercheure
Stéphanie Rioux et des étudiants qui l'assistaient, Julie
Lambert ou Jason Samson, se sont fixés à jamais dans leur
cervelle d'oiseau sous la rubrique "parents". D'où leur
propension à les suivre pas à pas pendant leurs premières
semaines de vie.
Si les oeufs avaient éclos en Arctique, des conditions environnementales beaucoup moins favorables que l'incubateur du Département de biologie auraient accueillis les oisons à leur sortie. "Sur Bylot, la température moyenne en juillet est de 5 degrés Celsius, il vente constamment et les oisons n'ont qu'une petite épaisseur de duvet pour se protéger, dit Jacques Larochelle. Ça en fait des sujets intéressants pour étudier les coûts de la thermorégulation dans le bilan énergétique."
Comme il était plus économique d'amener les oies à Québec que de déplacer toute l'équipe dans le Nord, les expériences se déroulent sur le campus. Par contre, reproduire en laboratoire les conditions qui prévalent dans l'Arctique pose tout un défi. "Nous voulions construire une soufflerie métabolique en circuit fermé dans laquelle la température, le vent et la radiance seraient contrôlés, dit Jacques Larochelle. Les professeurs en génie que nous avons consultés nous ont donné quelques conseils mais ils ne croyaient pas la chose faisable. Pourtant, nous y sommes arrivés."
Non seulement la soufflerie fonctionne-t-elle mais des expériences s'y déroulent pratiquement 24 heures sur 24 pendant les quatre premières semaines de vie des oisons, un régime de vie dont s'accommodent plus facilement les oies que l'équipe de recherche. "Leur taux de croissance est phénoménal, l'un des plus élevés chez les animaux, s'émerveille Jacques Larochelle. En 50 jours, une oie augmente son poids par un facteur de 25 alors qu'il faut 15 ans à un être humain pour en faire autant. Les oisons possèdent une puissance de production de chaleur exceptionnelle. Ces caractéristiques nous obligent donc à faire des observations continues pour suivre les changements rapides qui s'opèrent d'heure en heure."
L'année dernière, grâce à la soufflerie, l'étudiante-chercheure Josée Ratté a découvert que le duvet d'oison a une valeur isolante au moins aussi bonne que le plumage adulte, une trouvaille qui déplume quelques idées reçues. Les travaux menés cet été devraient livrer de nouveaux enseignements au sujet de l'influence du vent et du soleil sur la dépense énergétique des oisons.
Âgées de presque 50 jours au moment où elles ont rencontré le Fil, les oies achevaient leur oeuvre en recherche. Elles entreprenaient, la journée-même, leur première et dernière migration vers une famille d'accueil du Lac Saint-Jean où, apprend-on, elles auraient réorienté leur carrière vers l'agriculture.