18 septembre 1997 |
Le physiologiste Michel Cabanac révise l'histoire - ou la légende - du messager de Miltiade
En l'an 490 avant Jésus-Christ, les Athéniens triomphent des Perses à Marathon et le général Miltiade dépêche un messager pour porter la bonne nouvelle à Athènes. Au terme d'une course de 42 kilomètres, le messager livre son message, s'effondre et meurt. Fait véridique ou légende, cette histoire a néanmoins inspiré les organisateurs des premiers Jeux olympiques modernes qui ont inscrit le marathon au programme des jeux d'Athènes en 1896. Et le même événement historique inspire aujourd'hui des réflexions au professeur Michel Cabanac, du Département d'anatomie et physiologie. "Lorsque j'étais au secondaire, on nous enseignait que le coureur était mort d'épuisement, dit-il. On peut mourir de bien des choses mais pas d'épuisement. Ça ne se peut tout simplement pas."
L'autre hypothèse avancée pour expliquer le décès du valeureux coureur, la déshydratation, ne le satisfait pas davantage. "Le coureur déshydraté titube, zigzague et perd le contrôle de ses mouvements, dit-il. Il ne termine pas sa course en disant "Nous avons gagné!", pour mourir brusquement. Les indices me portent plutôt à croire qu'il serait mort d'un foudroyant coup de chaleur." Un accroissement rapide de la température du cerveau peut survenir à l'arrivée, quand la dissipation de chaleur créée par le mouvement de l'air pendant la course stoppe. Michel Cabanac et ses confrères, Marc Germain et Michel Jobin, l'ont d'ailleurs démontré il y a une dizaine d'années avec des coureurs sur tapis roulant placés devant un ventilateur. Leur température intracrânienne continuait de monter après la course si le ventilateur cessait de fonctionner.
La déshydratation a quand même pu jouer un rôle secondaire dans le décès du coureur de Marathon, ajoute cependant Michel Cabanac. "Lorsqu'un coureur est déshydraté, le refroidissement du tronc cesse mais pas celui de la tête. Après l'exercice, la chaleur accumulée au niveau du tronc et des membres se propage au cerveau, ce qui peut entraîner des lésions mortelles."
Dans le numéro de juin-juillet de la revue scientifique Médecine Sciences, Michel Cabanac et Marie-Claude Bonniot-Cabanac présentent quelques données historiques qui appuient l'hypothèse du coup de chaleur et la théorie du refroidissement sélectif du cerveau. "Selon Hérodote, historien de l'Antiquité, il faisait très chaud au moment de la bataille parce que les marécages de la plaine de Marathon étaient à sec. On sait aussi que les Athéniens étaient six fois moins nombreux que les Perses et que la bataille avait duré toute la journée. Il est donc probable que le coureur ait combattu pendant de longues heures avant sa course et qu'il était déshydraté au départ."
Quoique rares, les pertes de connaissance ou les décès ne sont pas exceptionnels de nos jours lors d'épreuves de longue distance en athlétisme ou en cyclisme, surtout lorsque la température est chaude et humide. "Les organisateurs d'événements sportifs et les athlètes sont maintenant mieux avertis des risques, de sorte qu'il y a moins d'accidents. En comprenant bien les mécanismes en cause, on peut aussi intervenir plus efficacement. Entre autres, lorsqu'un athlète a un coup de chaleur ou qu'il est déshydraté, il faut non seulement le faire boire mais aussi lui mouiller la tête et le ventiler."