18 septembre 1997 |
Un corridor niché entre l'océan Pacifique et les glaciers aurait temporairement pavé la voie aux premiers occupants de l'Amérique il y a 10 000 ans
Les archéologues savaient déjà que les premiers humains qui ont foulé le sol américain étaient arrivés d'Asie, il y a environ 10 000 ans, en passant par le détroit de Béring, au nord-ouest de l'Alaska. Par contre, le chemin de migration qu'ils ont utilisé par la suite pour se frayer un chemin à travers un continent inhospitalier, couvert de glace, faisait l'objet d'importantes controverses. "Le Nord-Ouest du continent était recouvert par deux énormes glaciers séparés par un étroit corridor de quelques kilomètres, explique Reinhard Pienitz, professeur au Département de géographie et chercheur au Centre d'études nordiques. Une première hypothèse veut que les premiers arrivants aient utilisé ce corridor alors qu'une autre propose plutôt l'existence d'un corridor longeant la côte du Pacifique." Le hic dans ce dernier cas était qu'un gigantesque glacier atteignant 2 400 mètres d'altitude se rendait jusqu'à la mer, ne laissant aucune zone libre pour le passage à sec.
Reinhard Peinitz et trois autres chercheurs apportent une réponse à cette énigme dans un récent numéro de la revue américaine Science (4 juillet 1997). Les relevés géologiques et les analyses de fossiles effectués dans l'Archipel de la Reine Charlotte révèlent l'existence d'un corridor côtier plat et sec, parsemé d'arbres et de lacs, aujourd'hui situé à 153 mètres de profondeur sous la mer. "La baisse du niveau de la mer et le rehaussement du continent ont créé des conditions propices au passage des premiers arrivants sur le sol américain le long de la côte ouest, dit Reinhard Peinitz. Le passage aurait émergé il y a 13 500 ans avant de retourner sous l'eau quelque 4 000 ans plus tard."
À l'aide d'un sonar, l'équipe de recherche a d'abord reconstitué le paysage sous-marin et identifié la présence d'anciens lacs et lits de rivière. Grâce à des échantillons de sédiments marins prélevés dans ces secteurs, Reinhard Peinitz a pu reconstituer les variations du niveau de la mer en analysant l'alternance des espèces de diatomées d'eau douce et d'eau salée (des algues microscopiques entourées d'une coque de silice qui forment de beaux fossiles) à différentes époques. Les analyses révèlent que le corridor côtier est passé de 16 mètres au-dessus du niveau de la mer à 153 mètres au-dessous entre 14 600 et 10 000 ans avant aujourd'hui.
Par ailleurs, les archéologues de l'équipe ont trouvé des outils de pierre prouvant que des humains vivaient dans cette région il y a 10 200 ans. Plus récemment, un crâne humain, datant de 9 880 ans, a été découvert dans une grotte de l'Île du Prince de Galles, ajoutant encore plus de poids à l'hypothèse du corridor côtier. Selon Reinhard Peinitz, la connaissance du patron de variations du niveau de la mer permettra désormais aux archéologues d'identifier plus facilement, à travers les très denses forêts côtières humides et même sous l'eau, les zones plus susceptibles d'avoir été utilisées par les premiers occupants.
"Les Indiens Haida surveillent ces travaux avec beaucoup d'intérêt, souligne le chercheur. La démonstration, par analyse d'ADN, que les premiers occupants de cette région étaient leurs ancêtres ajouterait beaucoup de poids à leurs revendications territoriales."