8 mai 1997 |
Trois historiens du Laboratoire d'ethnologie urbaine retracent l'histoire - passionnante - de la naissance et du développement de la radio à Québec.
"L'arrivée de la radio à Québec constitue une véritable révolution culturelle, soutient l'historien Jacques Mathieu. Pour la première fois, les élites politiques et ecclésiastiques n'ont plus le monopole de la parole, l'auditeur peut choisir une voix sur son poste et le monde fait son entrée dans les foyers québécois." Ce professeur au Département d'histoire a du mal à contenir son enthousiasme lorsqu'il évoque l'installation de la radio dans la vie quotidienne d'une capitale plutôt provinciale, un peu en retrait du monde jusque-là. Il signe, avec Jean Du Berger, professeur en ethnologie, et Martine Roberge, diplômée du Département d'histoire, La radio à Québec, un ouvrage publié aux PUL, sur l'âge d'or de ce média, de 1920 à 1960.
Réalisé à partir des souvenirs, conservés par le Laboratoire d'ethnologie urbaine, d'une soixantaine de personnes, des employés des trois stations CHRC, CKCV ou CBV (Radio-Canada), de comédiens ou de simples auditeurs, le livre revient avec émotion sur la naissance très artisanale des stations de Québec. Les témoins du passé se souviennent ainsi avec nostalgie de leur allégresse à percevoir des programmes radiophoniques sur un poste à galène après de multiples tentatives, à travers le bruit des parasites, les oreilles vissées aux écouteurs. Faute d'un marché publicitaire étendu, la radio connait en effet un début modeste à Québec, un employé du journal Le Soleil, Joseph-Narcisse Thivierge, émettant quelques heures par jour, avec pour tout matériel, un phonographe et un micro.
Et le monde fut
Si aujourd'hui la magie des ondes que nous promenons dans notre voiture,
sur la plage, en ski, dans le salon ou la cuisine, nous semble bien ordinaire,
l'arrivée de ce média dans la vie des Québécois
a eu de multiples répercussions. "Les gens s'ouvrent à
un nouvel imaginaire avec des chansons françaises plus crues, comme
celles d'Édith Piaf, ou découvrent, grâce aux reportages,
l'actualité dans le reste du monde", explique Jacques Mathieu.
Peu à peu, le rythme quotidien de la maison s'organise autour des
émissions dispensées par cette boîte pleine de lampes.
Il n'est pas rare que des voisins ou des parents se réunissent pour
écouter religieusement des concerts le soir, ou entrent dans la danse
aux sons des gigues ou des quadrilles joués par Les Montagnards
Laurentiens , chaque samedi soir sur CHRC pendant vingt ans.
À une époque où il faut absolument "s'habiller" pour aller au théâtre et à l'opéra, ou débourser des sommes importantes, la radio facilite l'accès à la culture et aux loisirs. Les artistes, qui bénéficient d'un auditoire élargi puisque leurs disques passent sur les ondes, consentent donc à inclure Québec dans leur tour de chants. "C'est évident que des salles de spectacles comme Chez Gérard, ou La porte Saint-Jean ont bénéficié de l'appui de la radio," remarque l'historien. Charles Trenet, Piaf. Sacha Distel, Brel, de passage à Québec, se confient donc au micro du Baril d'huîtres animé par Louise leclerc à CKCV, de La Guinguette de l'après-midi qui flanche sur CBV ou à l'émission de Magella Alain sur CHRC, En rappel.
Une ambiance bon enfant
Les trois stations radiophoniques vivent d'ailleurs en très bonne
intelligence, et il n'est pas rare que les annonceurs ou les comédiens,
qui participent aux radio-romans, traversent la rue dans la journée,
pour partiper à l'émission soit-disant concurrente. Les propriétaires
donnent d'ailleurs le ton en siégeant volontiers à la fois
sur le Conseil d'administration de CHRC ou de CKCV. Situées dans
le Vieux-Québec jusqu'à la fin des années soixante,
les stations contribuent donc à l'animation de ce quartier, à
tel point que le personnel radiophonique dispose souvent de tables réservées
dans les restaurants des alentours.
"Nous avons découvert avec surprise que l'essentiel de la grille radiophonique que les auditeurs peuvent écouter aujourd'hui s'est mis en place en dix ans, de 1926 à 1936, constate Jacques Mathieu. À partir de l'arrivée de Radio-Canada, les émissions culturelles, les bulletins d'information, les disques dédicacés apparaissent à peu près dans le même ordre qu'en 1997." La grande différence réside par contre dans la censure dont certaines chansons comme L'homme que j'ai dans la peau, d'Édith Piaf ou même Jos Montferrand de Gilles Vigneault font les frais.
L'Église n'hésite pas à exiger des stations qu'elles rayent les disques considérés licencieux, ou à dénoncer en chaire les propos de certaines émissions. Une attitude qui nous semble bien anachronique, alors que la bataille autour de la modération des propos s'est déplacée de la messe dominicale aux cours de justice qui se prononcent maintenant régulièrement sur des causes de diffamation.