8 mai 1997 |
Idées
PAR
DENIS GAGNON
VICE-RECTEUR À LA RECHERCHE (*)
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* Extraits d'une communication présentée lors du Colloque de la Commission de la recherche qui se tenait le 28 avril.
Laval a réuni, en peu d'années, un grand nombre des critères définissant ce qu'est une grande université de recherche. Mais pour atteindre les vraies racines d'une culture et d'une tradition de la recherche, il faut poursuivre le transfert des pouvoirs décisionnels et des ressources dans les facultés et développer en même temps les projets multidisciplinaires.
Existe-t-il une culture institutionnelle de recherche, y-a-t-il une seule culture de la recherche, ou devrions-nous plutôt parler de "cultures" de la recherche qui se manifestent de façon différente à travers les grandes familes disciplinaires d'une même université? Je tenterai de répondre à cette question fondamentale en partageant avec vous ma perception ou, si vous préférez, mon évaluation de ce que l'Université Laval est en train de devenir dans le monde de la recherche universitaire.
Afin de mieux situer ma réflexion, j'ai choisi de retourner aux objectifs que nous nous étions fixés en matière de recherche pour la période de 1992 à 1997. Laissez-moi vous rappeler comment nous avions décrit le renouveau attendu de l'Université à l'aube de ce plan quinquennal. Nous disions, et je cite: " ... notre communauté oeuvrera dans une université où les activités de recherche sont nombreuses et diversifiées, mais où des pointes d'excellence sont bien soutenues, tant au niveau départemental, qu'au niveau facultaire ou interfacultaire, chaque niveau disposant de structures appropriées. Il faut bien convenir qu'il s'agissait là d'une commande énorme, car ces attentes alors exprimées par notre communauté universitaire contenaient toutes les vertus d'une université qui migrerait très nettement vers la catégorie des universités dites de recherche, pas seulement une université où l'on fait de la recherche".
Mais qu'est-ce, vraiment, qu'une université de recherche ? Vous aurez bien deviné que les définitions varient d'une université à l'autre, d'une période à l'autre et, j'oserais dire, d'un gouvernement à l'autre. Mais si on fait l'analyse et la synthèse de l'ensemble des très nombreuses définitions qui ont été proposées, on y retrouvera des traits communs, des caractéristiques et des paramètres qui permettent de découvrir à peu de choses près, les universités qui ont une "culture de la recherche" et d'autres qui en ont moins, ou même pas du tout.
Des éléments de base
Ainsi, quand le milieu permet l'éclosion d'activités qui sont
mues par la curiosité scientifique, par le goût du savoir,
par le désir de repousser les frontières de la connaissance,
quand les fruits qu'on en récolte sont partagés et reconnus
par la communauté scientifique internationale, et quand nos chercheurs
participent ainsi de plein droit, à la définition des consensus
internationaux dans leur secteur d'activités scientifiques, je crois
qu'on peut dire qu'on est en présence des éléments
de base qui constituent une université de recherche.
Quand plusieurs de ses chercheurs ont atteint, chacun dans leur domaine, un niveau de crédibilité scientifique tel que les organismes subventionnaires les pourchassent constamment soit pour utiliser leurs conseils afin de mieux arrimer leurs programmes de support à la recherche universitaire, ou encore pour profiter de leur crédibilité et de leur intégrité scientifiques afin d'assurer la fiabilité du système d'évaluation par les pairs, on peut se permettre d'affirmer qu'une communauté universitaire a développé une culture de la recherche.
Quand un établissement a su développer des activités de recherche qui rencontrent les qualités décrites ci-haut et ce, dans la majorité des unités qui le composent, et que cette rage du savoir s'est répandue dans tous les coins et recoins d'une communauté académique, c'est dire qu'on a réalisé une étape de plus vers l'université dite de recherche.
Quand on a développé les réflexes institutionnels qui font que nos structures, nos services et nos ressources viennent aider ou je dirais plutôt, viennent participer à cet effort collectif dans le développement des connaissances, on se rapproche, de toute évidence, d'un véritable milieu de recherche.
Depuis quelques années, on a proposé sinon exigé du monde de la recherche universitaire qu'il prolonge sa mission vers l'application et le transfert des connaissances et des technologies. Au risque d'en faire frémir plusieurs, je dirais que ces activités de transfert sont effectivement devenues un élément majeur des activités scientifiques de certaines des composantes de l'université moderne. Elles ont manifestement leur place, à la condition qu'on ait eu la sagesse de veiller au grain, et de faire en sorte que les activités scientifiques qui sont en amont, continueront toujours de bien alimenter celles qui sont plus directement associées au transfert et à l'application.
La mission fondamentale
Mais toutes ces activités, toutes ces caractéristiques sont
le propre de n'importe quel milieu de recherche; pour recevoir le qualificatif
d'université de recherche, il faudra nécessairement les associer
à une mission fondamentale, celle de former des personnes, former
des jeunes chercheurs. Si cette préoccupation n'est pas présente
constamment, si nos programmes de formation et la qualité de l'encadrement
que nous offrons à nos étudiants et nos étudiantes
ne sont pas à la hauteur, s'il arrivait, par malheur, que les étudiants
soient de trop, nous ne formerions jamais une université de recherche;
peut-être quelque chose d'autre, mais pas une université.
Voilà l'image que nous avions de l'université que nous voulions continuer à bâtir lorsque nous avons entrepris la rédaction du plan quinquennal qui devait nous permettre de faire quelques pas de plus vers l'atteinte de cet objectif de la plus grande importance. Vous aurez compris qu'il s'agit ici du "nous" collectif, pas seulement celui de la direction de l'Université.
On ne pouvait pas jeter les bases de nos orientations futures, ou nous donner les objectifs institutionnels qui permettraient de corriger les carences et les lacunes que nous avions identifiées, sans joindre le geste à la parole. "Renforcer la position des chercheurs de l'université". C'est ainsi que nous avons formulé un des trois objectifs prioritaires qui sous-tendent tous les gestes que nous proposions de poser au cours des cinq années du plan. Il nous apparaissait en effet urgent de permettre à nos chercheurs de pouvoir entrer en compétition avec les meilleurs du pays et de tirer leur épingle du jeu dans un monde où la recherche universitaire doit évoluer dans l'excellence, la concurrence devenant impitoyable pour les performances simplement honnêtes.
À l'époque, et il y a de cela maintenant cinq ans, le niveau de développement de notre culture de la recherche a permis de proposer de tels objectifs et de poser les gestes conséquents qui, dans le passé pas très lointain, n'auraient sans doute pas été possibles, ni même faciles.
Ainsi, et à titre d'exemples, nous avons entrepris l'érection de constructions nouvelles dont deux devaient jouer un rôle de tout premier plan dans la consolidation et le développement de la recherche, et l'Université y allait ensuite d'une contribution financière substantielle permettant l'agrandissement du centre de recherche du CHUL. Ces réalisations ne sont évidemment pas le seul fait de l'Université, mais dans chaque cas, elle a voulu utiliser une part importante de ses budgets afin de doter les chercheurs d'espaces et d'équipements qui leur permettraient de mieux faire face à ces nouvelles exigences dont je parlais ci-devant.
L'urgence de se faire connaître
Déjà, au moment où toute la communauté travaillait
à la rédaction du plan, l'Université était invitée
à faire partie du groupe des dix universités canadiennes les
plus développées sur le plan de la recherche subventionnée,
une reconnaissance que même les plus optimistes parmi nous n'auraient
pas osé espérer. Mais malgré cette reconnaissance externe
de notre niveau de développement, et malgré notre capacité
accrue d'offrir un encadrement et une qualité de formation de haut
niveau dans maints domaines, une enquête révélait que
notre université demeurait toujours méconnue des étudiants
provenant de l'extérieur de notre bassin traditionnel. Nous savons
tous que lorsqu'il s'agit du recrutement d'étudiants et d'étudiantes
des 2e et 3e cycles, ce sont ces derniers qui tiennent "le gros bout
du bâton". Si nous ne sommes pas en mesure de faire en sorte
que les étudiants, où qu'ils se trouvent au Québec
et qui veulent entreprendre leur formation en recherche, puissent dire:
"Dans ce domaine c'est à Laval que je pourrai obtenir la meilleure
formation", je pense que nous serons en sérieuses difficultés.
Notre détermination à regrouper les chercheurs en équipes
et en centres n'est pas étrangère à ces préoccupations
que nous avons perçues chez les candidates et les candidats du Québec
et d'ailleurs aux études des 2e et 3e cycles, et c'est pourquoi nous
avons accordé une priorité si élevée au regroupement
des chercheurs afin de créer des milieux de formation de la plus
haute qualité possible dans lesquels les étudiantes et les
étudiants retrouveraient les ressources humaines et matérielles
susceptibles de leur offrir les meilleures garanties d'une formation adéquate.
En accord avec notre communauté universitaire pour laquelle le regroupement des chercheurs est maintenant devenu un aspect de la culture, nous avons été en mesure de recommander que "l'Université assure la consolidation des groupes de recherche reconnus, et qu'elle identifie de nouveaux créneaux prioritaires de développement de la recherche vers lesquels elle concentrera ses ressources, incluant le recrutement des professeurs et le renouvellement du parc des équipements scientifiques". À mon sens, il s'agissait là d'une évolution importante des mentalités dans notre milieu. Cette recommandation n'est pas restée lettre morte; une dizaine de nouveaux centres de recherche et un nouvel institut d'études supérieures ont été reconnus par la Commission de la recherche et le Conseil universitaire depuis, et je crois qu'il est de plus en plus probable qu'un deuxième institut dans le grand secteur des sciences de la vie et de la santé voie le jour durant la prochaine année académique.
Par la mise sur pied de son budget d'appariements stratégiques, l'Université a permis à plusieurs chercheurs et groupes de chercheurs d'obtenir des subventions d'équipements et d'infrastrucures dans différents domaines; le nouveau Laboratoire des sciences aquatiques est un bel exemple de ce que cette synergie nouvelle peut apporter afin de renforcer la position des chercheurs.
Voilà donc autant de décisions et de réalisations qui ont fait l'objet d'un large consensus dans notre université et qui témoignent de l'engagement de notre communauté de permettre à ses chercheurs d'évoluer dans un monde difficile certes, mais accessible lorsque les moyens nécessaires sont mis en place. C'est là, je crois, les signes évidents d'une culture de la recherche de plus en plus présente dans la planification et dans les orientations de l'Université Laval.
Plus tôt, je rappelais, dans mes mots, les traits communs et les caractéristiques qui définissent une université de recherche; vous me permettrez de croire, voire même d'affirmer, que l'Université Laval réunit un grand nombre de ces critères. Évidemment notre tradition en ce qui a trait au support et au développement d'activités de recherche structurées et coordonnées, bien arrimées à la mission fondamentale de l'Université Laval, cette tradition dis-je, n'est vieille que de vingt ou vingt-cinq années. Elle n'est donc pas encore aussi bien établie que celle qu'on retrouve dans plusieurs autres universités, mais elle existe réellement chez nous et, à mon sens, toutes les conditions sont réunies pour qu'elle progresse davantage et qu'elle traverse avec succès les années difficiles qui s'annoncent. Comme je le disais récemment, la recherche est devenue une activité normale à l'Université Laval.
Décentraliser et décloisonner
Je crois que deux autres conditions devront être remplies avant que
l'Université Laval puisse assurer le développement et le maintien
d'une culture de la recherche aussi profonde que possible. Une analyse rigoureuse
du réseau universitaire canadien et étranger permet de conclure
qu'une véritable culture de la recherche solide et durable ne peut
exister par la seule volonté de la haute direction, ce qu'on appelle,
chez nous, "la THA". C'est dans les facultés auxquelles
on transmet les pouvoirs de décisions et les ressources qui les accompagnent
qu'on retrouvera les vraies racines de la culture de la recherche. Dans
ces universités dont on dit qu'elles possèdent une culture
et une tradition de la recherche, on remarquera que la décentralisation
des pouvoirs et des ressources est une caractéristique présente
presque partout. Nous avons lancé cette opération d'envergure
au cours des deux dernières années et je suis confiant que
les autorités facultaires sauront non seulement maintenir, mais aussi
raffermir la culture de la recherche qui s'est développée
dans leur milieu.
En ce qui a trait aux activités interfacultairres ou si vous préférez, aux projets multidisciplinaires, je dois bien avouer que la tradition ne s'est manifestement pas encore établie chez nous. Malgré les attentes de la société et ses nombreuses interpellations, il s'agit là, de toute évidence, d'un type de culture qui n'a pas encore trouvé les conditions propices à son développement à l'Université Laval. D'autres suivront qui auront la main plus heureuse, ou peut-être plus ferme!
À quelques jours de la fin de mon mandat, j'ai envie de vous dire à quel point je suis heureux des progrès marquants que nous avons connus au chapitre de la recherche et des études graduées à l'Université Laval. Je peux même me permettre d'en parler avec fierté, parce que nous savons tous, moi le premier, que ce sont les chercheurs et les étudiants qui façonnent une université, et non pas le vice-recteur qui ne sera jamais rien d'autre qu'un promoteur, un facilitateur mais, disons-le aussi, un témoin heureux de ce qu'il voit tout autour.
En terminant, j'affirme que l'Université Laval a développé une culture de la recherche qui reste sans doute à raffermir dans certains secteurs disciplinaires, et qu'elle est devenue, selon tous les critères qualitatifs et quantitatifs, une véritable université de recherche. Selon le scénario original, cette déclaration faisait évidemment partie des propos que je devais vous livrer en conclusion de ce colloque. Je me croise donc les doigts, en espérant que vos délibérations viendront confirmer mes prétentions.