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17 avril 1997 ![]() |
Une équipe québéco-américaine évaluera l'effet de l'exposition prénatale à certains polluants sur le développement des enfants inuit
Grâce à une subvention du National Institute of Health totalisant 3,1 millions de dollars (2,24 millions US), une équipe de recherche québéco-américaine étudiera, au cours des cinq prochaines années, les effets de l'exposition aux BPC et au mercure sur le développement des enfants inuit du Nunavik. Éric Dewailly et Pierre Ayotte, du Département de médecine sociale et préventive de l'Université Laval, leur collègue Gina Muckle, du Centre de santé publique de Québec et deux chercheurs américains, Joseph et Sandra Jacobson, de la Wayne State University à Détroit, composent l'équipe responsable du projet. Environ la moitié de la subvention ira aux trois chercheurs du Québec.
Le prestigieux organisme américain a délié les cordons de sa bourse pour ce projet parce qu'il promet de tirer au clair un problème qui suscite présentement la controverse dans les milieux scientifiques, à savoir l'effet de l'exposition intra-utérine à certains contaminants sur le développement physique et intellectuel des enfants. "Les grandes études menées sur cette question, dont l'une par les Jacobson, ont produit des résultats contradictoires, dit Gina Muckle. Ces études avaient cependant été menées sur des populations présentant des niveaux modérés d'exposition aux contaminants. Les populations inuit que nous allons étudier ont des niveaux d'exposition jusqu'à dix fois plus élevés."
En raison de leur alimentation riche en gras provenant de mammifères marins, les Inuit du Nunavik détiennent le triste record de population la plus contaminée au monde par les BPC. Ces produits, transportés sur de longues distances, s'accumulent dans la chaîne alimentaire et se concentrent dans les graisses des mammifères marins (phoques, ours polaires, bélugas) dont se nourrissent les Inuit. Une étude menée par le groupe de Éric Dewailly et de Pierre Ayotte a déjà démontré que les concentrations en composés organochlorés retrouvées dans le lait des femmes inuit sont de deux à dix fois plus élevées que chez les femmes habitant le sud du Québec. Les taux de BPC dans le lait des mères Inuit se comparent à ceux présents dans les graisses de béluga.
Les BPC s'accumulent dans les tissus gras des êtres vivants et peuvent traverser la barrière placentaire et perturber le développement du foetus pendant une période où il est particulièrement vulnérable. Certaines études laissent entendre que l'exposition à ces composés pourrait avoir des effets négatifs sur sur le développement psychomoteur et sur la mémoire. "Il semble que les jeunes du Nunavik éprouvent des problèmes d'apprentissage qui sont peut-être dus à des conditions familiales ou sociales difficiles ou encore à l'exposition aux BPC, dit Gina Muckle. L'étude va nous permettre de tester cette dernière hypothèse."
Les chercheurs espèrent recruter 400 femmes enceintes dans les trois villages les plus populeux du Nunavik. Depuis janvier, une centaine ont accepté de participer à l'étude. Le degré d'exposition prénatale aux contaminants sera évalué, pendant la grossesse, par le biais d'entrevues sur les habitudes de vie et par des prélèvements sanguins chez la mère. À la naissance, des échantillons de sang seront prélevés dans le cordon ombilical des nouveau-nés. Par ailleurs, les taux de mercure seront déterminés par l'analyse de cheveux. Au sixième, neuvième et douzième mois suivant la naissance, les chercheurs soumettront les enfants à une série de tests mesurant le développement physique, moteur et intellectuel.
Les chercheurs refusent de présumer des conclusions de l'étude pour l'instant mais, pour ne pas être prise de court, ils travaillent déjà à l'élaboration de scénarios alimentaires qui optimiseraient les effets positifs du régime traditionnel inuit (riche en acides gras polyinsaturés) tout en minimisant les risques pour la santé des enfants. Les conclusions finales de l'étude ne seront pas connues avant l'année 2002.