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10 avril 1997 ![]() |
À l'époque où Khéops régnait sur l'Égypte, l'empire de la pruche s'écroulait dans les forêts de l'Est de l'Amérique du Nord . Deux chercheures du Centre d'études nordiques proposent une nouvelle explication au phénomène.
Grâce à un patient travail de reconstitution du passé, deux chercheures du Centre d'études nordiques sont parvenues à solutionner une énigme scientifique entourant un événement survenu il y a près de 5 000 ans. En effet, Najat Bhiry et Louise Filion avancent, dans le dernier numéro de la revue Quaternary Research, que le déclin de la pruche dans l'Est de l'Amérique du Nord (révélé par les analyses de pollen ancien) aurait été provoqué par des infestations d'insectes.
"Il y a une vingtaine d'années maintenant que des chercheurs essaient d'expliquer ce qui a bien pu provoquer, à cette époque, la baisse rapide et drastique des populations de pruche dans l'Est de l'Amérique du Nord, rappelle la chercheure Louise Filion, professeure au Département de géographie. L'hypothèse la plus répandue voulait que le déclin soit dû à l'action de champignons pathogènes."
Les deux chercheures appuient leur conclusion sur l'examen de restes de végétaux et d'insectes retrouvés dans un ancien champ de dunes recouvert de tourbe, près de Saint-Flavien, à 50 kilomètres au sud-ouest de Québec. "Les restes étaient exceptionnellement bien conservés dans une épaisseur de 4 mètres de tourbe, signale Louise Filion. L'identification de ces restes et leur datation au carbone 14 nous ont permis de reconstituer certains événements qui se sont produits au cours des 6 800 dernières années."
Selon l'abondance des restes végétaux retrouvés, il semble que jusqu'en l'an 4910 avant aujourd'hui, le site était dominé par la pruche et le bouleau jaune. À cette date, des aiguilles broutées de façon très caractéristique ainsi que des restes de chenille d'arpenteuse de la pruche et de tordeuse des bourgeons de l'épinette apparaissent dans le sol. "L'arpenteuse mange partiellement les aiguilles et elle laisse le pétiole et la nervure centrale, signale Louise Filion. C'est justement le type de dommages que portent les aiguilles datant de l'époque où commence le déclin de la pruche." En plus, les chercheures ont noté l'absence de cônes sur les rameaux de pruche ainsi qu'une diminution de la largeur des anneaux de croissance chez des arbres morts prématurément pendant cette période. Les arbres ne montraient cependant aucun signe d'attaque par des champignons. "Tous ces indices nous portent à croire que la défoliation a réduit la capacité reproductrice de la pruche ou qu'elle a causé une mortalité massive des arbres."
Deux autres infestations, caractérisées par le même ensemble d'indices, seraient survenues il y a 4 600 et 4 200 ans. À la suite de ces infestations, la pruche s'est rétablie partiellement sur le site mais, en terme d'abondance, elle a été supplantée par d'autres espèces. La pruche a complètement disparu du site il y a 1 700 ans, remplacée par des espèces associées aux tourbières.
"Cette découverte indique que la défoliation causée par des insectes peut affecter des écosystèmes pendant des siècles, voire des millénaires, surtout quand des arbres comme la pruche, caractérisée par une longévité de plusieurs centaines d'années, sont en cause, concluent Najat Bhiry et Louise Filion. La défoliation par les insectes devrait être davantage considérée comme un élément important dans l'étude des successions forestières".