![]() |
10 avril 1997 ![]() |
Droit
Pour son premier colloque, le Groupe d'étude sur les processus de transformation du droit (GEPTUD) a réuni une cinquantaine de juristes des universités McGill, de Montréal, d'Ottawa et de Laval, les 4 et 5 avril, qui se sont interrogés sur les changements qui affectent la culture juridique québécoise actuelle. Les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés ont particulièrement retenu l'attention des participants, puisque l'insertion de ce texte en 1982 dans la Constitution a considérablement modifié le rapport de force entre les pouvoirs législatif et judiciaire. Luc Bégin, professeur de philosophie à l'Université Laval, en a d'ailleurs profité pour remettre les pendules à l'heure sur l'épineuse question de la politisation du juridique.
"Les juges font de la politique", "Les juges se font politiques", "Le gouvernement des juges", voilà quelques uns des commentaires que les lecteurs retrouvent fréquemment dans leur quotidien préféré, ou qu'on peut entendre dans des tribunes publiques aux lendemains de jugements controversés de la Cour suprême. Ces commentaires indignés émanent la plupart du temps d'intellectuels qui réprouvent et condamnent la montée en puissance du pouvoir juridique. De fait, ils déplorent que les juges puissent prendre des décisions en se basant sur des motivations d'ordre politique, et qui plus est de manière partiale tout en usant d'un pouvoir discrétionnaire.
Droit vers la neutralité
En citant la politologue Josée Legault qui ironisait récemment
dans Le Devoir sur la "supposée impartialité
des juges", Luc Bégin souligne que cette volonté de revendiquer
la neutralité du judicaire correspond à une vision positiviste
de ce pouvoir. Selon cette école, largement répandue au Québec
et au Canada, il faut que le droit tende vers un idéal d'objectivité
et d'exactitude, exactement comme une autre science. Dans ce système
très hierarchisé, les règles sont toujours énoncées
par des organes de compétence supérieure, qui agissent pour
le bien de tous.
Cependant, souligne Luc Bégin, ce savant échafaudage n'a plus cours lorsque le juge se trouve confronté à une charte des droits et libertés dont les formulations vagues laissent toute latitude aux tribunaux pour statuer. Finalement, l'imprécision de la loi accroît le pouvoir des juges qui deviennent politiques, et par conséquence le texte législatif échappe aux élus, et donc à leurs électeurs. Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que les partisans de l'école positiviste considèrent comme illégitime cette incursion du judicaire dans le politique.
Si l'on en croit Luc Bégin, ce courant de pensée qui juge sévèrement l'ingérence des juges en politique a encore de beaux jours devant lui au Québec. Selon le professeur de philosophie, cette perception négative s'explique en partie par l'histoire de l'adoption de la Charte des droits et libertés en 1982. Bien des souverainistes reprochent en effet au Premier ministre de l'époque, Pierre Elliot Trudeau, d'avoir tenté de couper les ailes à la Charte de la langue française, conçue par le gouvernement québécois. Dans ce contexte, chaque jugement controversé ramène sur le tapis la question de l'identité nationale et l'affrontement entre fédéralistes et souverainistes.