Nous présentons ici les textes gagnants du Concours
littéraire annuel du Cercle d'écriture de l'Université
Laval (CEULa), dans les catégories "nouvelle" et "poésie",
ainsi que les oeuvres gagnantes du concours d'illustration "L'image
des mots", lancé ensuite auprès des étudiants
et étudiantes de l'École des arts visuels. Une collaboration
du CEULa, du journal Au fil des événements et du Service des
activités socioculturelles.
Une nouvelle? Allons donc... Pourquoi pas un tableau? Un paysage? Un
charmant décor avec balançoire et jeunes filles en fleurs?
Oui! Déjeuner sur l'herbe, une belle femme endormie sous les peupliers...
Nue, évidemment... Mais, ce n'est pas ce que vous attendez de la
VRAIE littérature, n'est-ce pas? Ce que vous attendez, c'est un scénario
triste et gris, un drame existentiel. Mal de vivre, brouillard et suicide...
Il paraît que c'est l'époque. À moins que vous ne souhaitiez
entendre les ricanements cyniques d'un vrai-faux humoriste veule et bête
à pleurer. La mode...
Enfin, j'espère que vous ne cherchez pas une "leçon
de vie" ou un "coup de coeur", comme ils disent dans les
chroniques culturelles. Langue plastifiée... Pour l'heure, je n'ai
rien d'autre à considérer que cette lumière très
douce, sur le coteau. L'effet-juillet... Tout pour inciter à l'indolence...
Et le fleuve, en bas, est bleu. C'est à peine croyable, après
tout ce qu'on lui a fait subir, mais c'est vrai. Tout à fait bleu...
Et très beau. J'imagine un instant le bonhomme Monet confronté
à ce paysage. Il s'en donnerait à coeur joie. Tiens, je crois
deviner ce que certains pensent déjà: "Ah, non! pas les
impressionnistes!" Nuls, les impressionnistes... Trop populaires...
Trop décoratifs... Justement, la difficulté, avec Monet, Renoir,
Cézanne et les autres, c'est de contourner la récupération.
Et le mépris d'un certain snobisme "art moderne"... Revenir
à la lumière initiale, filiation directe avec Raphaël,
Vélasquez ou Rembrandt, explosion très attendue du style pompier
dix-neuvième siècle. Dernier éclat avant le naufrage
dans la croûte abstraite...
Ça n'a rien à voir avec une histoire? Le ciel, le fleuve?
Mais on est en plein dedans! À force de poser des questions, vous
me ferez mourir au bout de mon sens! Vous voulez de l'action? Des messages?
En voici donc! Messages, messages, messages... Votez le parti Nase, le parti
national-sentimental! Bientôt en librairie, le dernier roman de Charlotte
Savadesoi, Le soleil se lève à l'aube, une grande saga historique
et amoureuse qui mènera le lecteur de la Mongolie au Paraguay, en
passant par la face cachée de la lune. Bouleversant, incontournable...
Culture, culture, culture, culte culturel... Il faut bien rester dans la
dimension bavarde des choses, n'est-ce pas? Autrement, où irions-nous,
je vous le demande? Où iraient nos précieuses émotions?
Et la vie surtout. Tellement importante, la vie. Ils en parlent tout le
temps, de leur vie. Comme si ce n'était pas, la plupart du temps,
se regarder mourir. Se jalouser, se haïr, se surveiller...
Mais je reviens sur le coteau. Cette lumière... Et puis, les gros
nuages floconneux, énormes, très hauts, comme des édifices
immenses. Ces troupeaux de nuages-éléphants qu'on ne voit
qu'en été. Dans les chaleurs... Un orage se prépare
là-haut, c'est évident... Un professionnel de l'angoisse se
demandera certainement ce qui motive mon écriture. Rien, sinon échapper
à la régression dans le jaune jeune, la grande face blême
de nullité... Je n'ai pas besoin de visualiser, de motiver, de conscientiser,
de sensibiliser, de démystifier, puisque je vois. Le paysage est
devant moi, le bleu, le vert, le rouge, et gardez chez vous votre sempiternelle
caméra psychologique. Allez, circulez, circulez! Il n'y a rien à
consommer... Pas d'histoire! Comment ça, pas d'histoire? Mais vous
ne pouvez pas écrire une nouvelle si vous n'avez pas d'histoire à
raconter! Ça ne se fait pas... Ah bon? C'est écrit dans le
ciel, je suppose? Règlements internes de Culture inc.? Je parie que
la lectrice évoluée-épanouie espérait une jolie
histoire de baise. Pourtant, l'intérêt premier, dans ces choses-là,
n'est pas de les écrire, mais de les faire. Action... Pour échapper
au syndrome-sablier... Conscience de l'instant...
Trait blanc comme une marque de craie dans le ciel. Un avion de ligne...
Vol long-courrier à dix mille mètres d'altitude. Peut-être
Montréal-Paris... Ou Chicago-Moscou, ce qui fait plus mystérieux...
New York-Stockholm... Nous sommes en plein sur la route migratoire. Tous
les chemins mènent à Rome, à condition de passer par
le pôle Nord... J'essaie d'imaginer les passagers. Les passagères...
Une très jolie Norvégienne qui rentre chez elle après
des vacances aux États-Unis. Une charmante comédienne slovaque.
Une étudiante américaine un peu nerveuse à l'idée
de débarquer à Paris. Une sociologue italienne. Une avocate
bien connue à Besançon. Cette autre, là, la brune un
peu forte mais néanmoins très attirante, pédiâtre
à Montréal. Toutes ces femmes arrivent ou partent, nous voient
d'en haut, peut-être... Les anges, version airbus. Ces anges-là,
j'ose y croire...
Réveil au milieu des épervières et des pissenlits.
J'étais parti... Extase en pleine nature, croyez-le ou non. C'est
toujours brutal, le réveil... Après un instant flou, on tombe
dans le temps. Bang! On réalise qu'on est là, dans le grand
bordel de la réalité, et qu'ils y sont aussi, les autres.
Tous les autres, mais encore plus ceux-là. Les encadreurs, les surveillants,
les spécialistes du confinement à la marchandise, à
l'émotif immédiat, les troupes de choc de l'imagerie sentimentale.
Ces lapins à lunettes qui nous imposent la médiocrité
jusque dans le rêve. Et qui nous obligent à partager leurs
vaines confidences, leur fausse connivence. Morale vidéo-crétine...
Notoire nullité... Nouvelle inquisition cathodique... Traquant partout
le secret, la discrétion, la distance, le silence... Imposant la
sensiblerie publique, l'affectation, la familiarité, la psychologie,
l'agitation, l'austérité, la communication.
Crucifié sur un timbre espagnol. Une fin comme une autre... D'ailleurs,
la cause est déjà entendue. Maintenant, tout le monde casse
du curé. C'est sans risque... Affaire classée... Pas de représailles
à craindre. Qu'on balaye l'Église catholique pour nous laisser
adorer tranquillement nos icônes médiatiques, fonder enfin
nos propres sectes... Et puis, qu'est-ce qu'on attend pour nettoyer l'histoire
et la littérature? Il en va de l'avenir de nos enfants, vous avez
compris, NOS enfants, nos familles, notre société, notre culture,
notre pays, notre morale... notre... notre... Parce que le monde entier
doit être à notre image, à notre ressemblance, à
notre convenance, nous, les honnêtes travailleurs-contribuables-entrepreneurs-consommateurs
de la classe moyenne supérieure... Nettoyons la culture universelle!
Rien n'est sacré... Même pas Homère, ce vieux misogyne
dont les histoires interminables glorifient des guerriers machos et sanguinaires!
Aux poubelles, l'Iliade! Et l'Odyssée? L'histoire d'un roitelet de
province qui passe dix ans en mer, va d'aventures en aventures, et ne cesse
de tromper sa femme qui, elle, l'attend sagement à la maison pendant
tout ce temps.
C'est intolérable! À effacer au plus vite! Ensuite, il
faudra s'attaquer à Shakespeare, Molière, Cervantès!
J'avais pourtant une histoire, oui, je me rappelle maintenant, j'ai écrit
une histoire, il y a longtemps... Mais elle a sombré dans le trou
noir qui gobe tout ce qui est dépassé par les événements,
le trou noir du roman-savon... C'était l'histoire d'un espion soviétique
qui voulait passer à l'Ouest. Et qui s'aperçoit un bon jour,
entre deux missions, qu'il n'y a plus de Soviétie, plus de guerre
froide, plus de mur de Berlin, plus rien... Enfin, tout ce pour quoi il
travaillait, espionnait et assassinait depuis trente ans a disparu comme
par enchantement. Et bonjour, les vitrines et la coke... Il finit vendeur
de calmar à Nobody, New Jersey. Attention, je n'ai pas dit caviar,
mais calmar... Il meurt un bon matin en oubliant de se réveiller.
Mafia russe ou rousse, à vous de choisir... Un autre en aurait fait
un roman de cinq cents pages, j'ai préféré liquider
cette histoire en un paragraphe. Fin. Rideau. Bonsoir, mesdames et messieurs.
Dodo avec madame ou monsieur, selon vos préférences...
Il faudra pourtant que je quitte mon joli coteau lumineux. Que je laisse
cette vue sur le fleuve à d'autres yeux. Infimes modifications dans
le bleu du ciel... Il doit être trois heures. Surtout, ne pas oublier
la moindre couleur... Quand faut-il donc s'en aller? Dans une heure, un
jour, un an? Rare, très rare qu'on puisse vraiment sortir du temps.
Quelques-uns ont réussi. Je ne les nommerai pas, pensez donc... Mais
vous devinerez sûrement de qui je parle. Pensez "peinture"...
Je n'en dis pas davantage.
Une simple succession d'instants... Une série colorée...
Les "nymphéas". Les "iris". Et puis le retour
brutal, mais vraiment très brutal...
Voyage vers le bureau... Assis dans un autobus gris, avec des visages
gris, roulant dans un paysage gris. Les petits soucis... Et cette impression
fâcheuse, ô combien fâcheuse, de me diriger vers une confortable
prison. Bastille climatisée du neuf à cinq... Entre deux coups
d'oeil aux jambes d'une passagère, désolé mesdames,
rien ne se contrôle moins que les yeux, je lis. Lire, c'est parfois
consternant... Les clichés dissous dans l'imagerie médiatique
se retrouvent extraordinairement concentrés dans certains livres.
Ça devient un vrai Tchernobyl sentimental. Puisque la littérature
a déjà retrouvé le temps, tout le temps perdu, merci
monsieur Proust, aussi bien prendre les moyens, désormais, d'éviter
d'en perdre, du temps. La méthode est fort simple. Infaillible...
Garantie... Lisez les trois premières lignes d'un livre... Et, pour
être juste, tout de même, les trois dernières... Dites-vous
bien que la personne qui commence un livre n'est pas la même que celle
qui le termine. Ça vaut autant pour l'écrivain que pour le
lecteur... Donc, si l'auteur des trois premières lignes paraît
franchement dépressif à tendance coupable-angoissée,
et celui des trois dernières, résolument mélancolique
ou tristounet de l'école fleur bleue, alors danger! On va évidemment
tenter de vous apitoyer, de vous romantiser l'émotion dans les fleurs
du tapis. C'est le signal d'alarme! Vous êtes prévenu... La
traversée du désert dérisoire est à vos risques
et périls. Vous risquez de déraper sur une phrase inepte juste
après avoir aperçu le panneau: "Écrivain se prenant
au sérieux"... Il n'y a que l'ironie pour faire rouiller ces
grosses machineries hormonales...
Cueillir des étoiles? Vous réconcilier avec la vie? Voilà
donc ce que vous attendez de moi, petits coquins! Et vous me demandez, en
plus, de me suivre à la trace pour en faire une histoire! Mais, je
n'ai pas du tout envie de me transformer en cliché sentimental...
Ce qui ne veut pas dire que je suis un monstre! Cependant, il y aura toujours
des gens qui y croiront, à l'affaire, et les pires seront ceux qui
feront semblant de ne pas y croire. Et ne me demandez pas de vous expliquer
ce qu'est l'affaire. Vous le savez très bien... Ça porte cent
noms au moins: la culture, la nature, la liberté, le sens, le système,
l'avenir, le marché, l'État, la famille, la technologie, l'économie,
la planète, la société. la diversité, le blabla...
Ce maudit contexte dont on voudrait sortir un instant. Con texte, oui...
Ce qui fait qu'on se soumet aux choses. Ça vaut pour tout le monde,
peu importe le déguisement, les discours anarchistes ou la couleur
des cheveux... Tout le monde. Ou presque... Car vous savez ce qui enrage
l'affaire? C'est quand elle est obligée de servir au lieu d'être
servie, c'est-à-dire quand un vrai génie (il y en a peut-être
deux ou trois par siècle) lui tord le bras, à l'affaire, et
la force à s'incliner. Pensez à Proust ou à Cézanne...
L'affaire aurait donc préféré qu'ils n'existent pas...
Maudits briseurs de certitudes, de bonnes vieilles habitudes! Non, mais,
ils ne pouvaient pas nous laisser dormir tranquilles, ces vieux cons! Se
suicider en silence? Ou faire comme tout le monde, aujourd'hui? C'est-à-dire
pisser du post-moderne, et se réfugier tranquillement dans le ghetto
bavard-vantard des "créateurs-concepteurs"? Au service
du système... De l'époque... De la société...
Des médias... De la culture... Du spectacle... Avec le mélange
monstre sectes-politique-spectacle, il faudra peut-être même
inventer un nouveau mot: le "sectacle".
Vous avez compris, maintenant? L'affaire, c'est ce qui fait qu'on prend
le monde au sérieux, qu'on croit mordicus à son importance,
qu'on regarde la télé en se disant que le succès de
Céline Dion doit bien vouloir dire quelque chose, puisque le marché
est réputé parfait. Alors qu'il ne signifie rien, évidemment...
Sinon l'efficacité de l'affaire... L'affaire, c'est la certitude
que l'époque a toujours raison. Et surtout la nôtre, si fière
de sa transparence et de sa rationalité. Afin que tout, mais absolument
tout, finisse par tenir sur la tête d'épingle du présent
immédiat. Le suicide? Mais c'est encore une façon de se prendre
au sérieux... Encore la rage, la hargne, le ressentiment. Du cinéma,
toujours du cinéma... D'ailleurs, vous avez vu comment ça
progresse? Quand on représente l'avenir, c'est toujours sous forme
de dépotoir, d'arrière-cour triste, sale et schizophrénique...
Quartiers délabrés... Aux antipodes de la roseraie... Cris
de mort pour rien... Avec des personnages qui hurlent leur existence comme
s'ils étaient sur une scène. Et ils y sont... Le monde rapetissé
en ghetto névrotique et jaloux... La sous-culture kitsch, le bruit
pour rien, schizophrénie obligatoire, laideur marchandée...
Pour que ça ressemble aux tendances, aux courants, à tout
ce qui s'impose aussi partout ailleurs, au même instant, à
travers la volonté du spectacle. Des adolescents tous pareils, quasi
analphabètes, front buté, regard mauvais, langage minimal,
déguisements de haillons style fin du monde, air bête, comme
s'ils voulaient anéantir tout ce qui n'est pas identique autour d'eux.
Tout ramener au niveau du caca chéri... L'esprit-poubelle, le verbe-poubelle,
comme l'environnement. "Trash"... Et l'impression désagréable
que c'est bien ce qu'on veut, peut-être même ce qu'on mérite...
Que c'est inexorable. Qu'il vaut mieux s'en moquer...
Et mon obole à Sainte-Fiction? Le sermon sur la montagne amour-passion-enfance-mère-sentiment-tendresse?
Comme l'exige le marché du bavardage? Plus tard, plus tard... J'attends
qu'une personne pleine de bonnes intentions vienne me convaincre d'écrire
une "vraie nouvelle" pour être publiée dans une "vraie
revue". Une personne qui serait prête à tout pour ramener
une âme égarée dans l'enclos de la culture comestible...
Maintenant, toutes les revues culturelles ont leur chronique "Bouffe".
Seuls les naïfs y verront un hasard... Faut que ça se mange!
Et que ça se digère bien... Que ça contienne des protéines
profondeur, des vitamines émotion. Surtout pas d'ironie, ni de distance...
Mauvais ça... Oh! Ma femme regarde par-dessus mon épaule pour
voir ce que je suis en train d'écrire. Une personne très aimable,
ma femme, une personne que j'aime beaucoup baiser et avec qui je trouve
fort agréable de partager mon petit confort bourgeois, n'en déplaise
aux tenants de l'impossible couple parfaitement uni dans son éclatement,
déchirant-déchiré, fusion-friction, passion mortelle...
Coup d'oeil rapide, elle s'en va. Un peu découragée de constater
que j'écris les mêmes bêtises... Cent fois sur le métier...
Je sauve tout ça sur disquette. Impulsions électromagnétiques
gravées là sous forme "0-1".
Décousu? Décousu! Comment ça, décousu? Du
calme, lecteur colérique. Non, je n'ai pas l'impression de me découdre,
mais j'aurais le goût d'en découdre avec certains... Cette
fois, le lecteur trépigne, boude, saute sur place comme un enfant
frustré. Et pourquoi pas des sentiments? Une histoire? Des valeurs?
On veut une histoire, on veut une histoire, bon! Une histoire contemporaine,
sur fond de décrépitude sociale, avec du désespoir,
et de la violence, et de la névrose, et... bon, une histoire, quoi,
une FICTION! Chahut dans le dortoir! Et je réponds encore: NON! Pas
d'histoire, parce que, c'est comme ça, c'est la journée mondiale
de la nouvelle sans histoire, voilà, pour une fois. De toute façon,
il n'y a que ça le reste du temps, des histoires. Des scénarios,
des personnages, des psychologies, des situations, des événements.
Aujourd'hui, tiens, chronique nécrologique. Clair, net et précis.
Pas de mensonges, ou si peu. Des dates, des noms. Fin de la surveillance,
du contexte, du confinement, de l'encadrement... La vérité
est là, paraît-il... Vous y serez un jour. D'ailleurs, vous
semblez avoir tellement hâte d'y arriver. Quand on voit avec quelle
dévotion extatique vous adorez l'image de la mort, dans vos livres,
vos films, votre musique... Quand on constate avec quelle ardeur sereine
vous castrez l'intelligence... Et la littérature... Vous savez maintenant
ce que je fais dans la vie? Vous avez deviné? Fossoyeur? Croque-mort?
Non, vous n'y êtes pas du tout! Je suis opérateur de machinerie
sourde! Pour enterrer la grande symphonie romantico-démagogique en
las majeur...n
Les travaux de l'ultime
c'est dénouer le rouge
le soleil caché
dans la brique
de toute façon octobre
est toujours une crise
L'époque a bien appris sa leçon
elle devance tout le monde
écoutez donc le chemin
quand il se paie
un grand éclat de rire
Il faudrait consoler
les arbres et les hommes
déracinés
mais les mots
ne viennent pas
ça s'arrête
à deux pas du souffle
Où trouver
sur la carte
le parfum des lilas?
Encore un été oublié
comme un parapluie
sur un banc de parc
Voilà midi
qui monte au front
des assoiffés
Au bout du rouleau
le refuge de l'image
Des couleurs projetées
sur l'écran du poème
c'est enregistré
dans la boîte noire
du coeur
Jamais sans l'automne
l'horizon effrayé
de sa propre étendue
borner les cris
au-delà de ce qui s'aperçoit
clairement
le lointain si fragile
En haut d'une colline
tout en haut
grande densité d'horizon
beaucoup de ciel aussi
beaucoup
mais pas trop
tout de même
juste assez
pour partager
la sieste des nuages
Solitude de la route
à qui on ne dit pas
où elle devait mener
car il y a des pays
dont nul ne sait que faire
pas même une distraction
Vous arrivez trop tard
j'ai déjà vendu mon âme
aux Appalaches
Attentif
pour une fois
comme si l'on voulait
raconter le tumulte
la terre toute retournée
à la seule vue du sang
mais la chair
n'a pas prévu la durée
Cette poudre d'air
débâcle de l'invisible
à travers les yeux d'un papillon
En foi de quoi
j'irai marcher
parmi le peuple des arbres
sans lui reprocher
de vivre aux crochets du soleil
Il y a la fenêtre
au matin
pour creuser le gisement
des regards
faites ceci en mémoire
du lac
La pleine lune
est toujours aussi fiable
comme si le monde
se donnait pour rien
à tout ce qui sait
ouvrir l'oeil
C'est donc la brume
qui se traîne les pieds
le jour lui tend une perche
fragile
On dirait bien que la soirée
sa réserve
un mystère ou deux
et c'est très bien
ainsi
Nous voici tous
dans le même bateau
cargo des paupières
On nous a
à l'oeil
Pauvre homme
qui a perdu sa vie
et qui cherche
à la télévision
car il n'y a de vision
qu'incertaine et craintive
comme la campanule
elle fleurit l'incertitude
Puisqu'il le faut
je serai le seul témoin
de la décrépitude
le dernier à savoir
comment couler le plomb
dans l'aile de la nécessité
Quelqu'un a oublié
ses idées
dans le journal
la joie coule sur la rue
comme sur le dos
d'un canard
Ah! ne plus voir
la grande saignée de l'autoroute
le paysage plus dévasté
que le visage d'un boxeur
et ces pylônes aux bras ballants
tristes comme des chômeurs
Il manque les yeux
pour voir en un seul jour
le soleil gêné
de reluire sur l'asphalte
les heures soumises
l'ulcère du trottoir
Désormais les saisons
arrivent à l'heure
et ne nous voient pas
Ça s'appelle aussi
le hasard