21 novembre 1996 |
Le Festival de droit donne lieu à une empoignade
vigoureuse sur
les vices et les vertus du syndicalisme
En ce beau mardi d'automne, les étudiants et étudiantes de droit avaient rempli à pleine capacité la salle 2E du pavillon Charles-de Koninck, se doutant bien que ce débat annoncé sur la question du syndicalisme dans le cadre du Festival de droit serait tout sauf ennuyeux. Et ils n'ont pas eu tort. Dans le coin gauche, Réjean Breton, professeur à la Faculté de droit et ennemi déclaré du monopole syndicaliste ne ménagera en effet aucun effort afin de convaincre l'auditoire que le système syndicaliste, dans sa forme actuelle, est dépassé, tandis que dans le coin droit, Fernand Morin, professeur au Département de relations industrielles, tentera de prouver qu'au contraire, rien ne vaut les syndicats pour défendre les intérêts des travailleurs.
C'est d'ailleurs avec ce dernier que s'ouvre le débat. Selon Fernand Morin, que ce soit aux États-Unis, au début des années 1930, ou au Québec, une dizaine d'années plus tard, "le mouvement syndicaliste est né de la nécessité d'avoir un système sûr, simple et stable". Le problème, rétorque Réjean Breton, c'est que la réalité du travail a bel et bien changé et que nous ne sommes plus à l'ère de la chaîne de montage où des travailleurs sans qualification et sans formation s'éreintaient le corps et l'esprit pour un salaire de crève-faim.
Une société égalitaire
"Je propose donc l'abolition pure et simple de la sécurité
d'emploi et du monopole syndicaliste, ce système étant au
seul service de ceux qui ont un emploi et la pleine sécurité
d'emploi. Actuellement, il y a un contrôle absolu des jobs de la part
des "syndicaleux", tandis que les jeunes de 35 ans et moins qui
possèdent de la compétence et des qualifications continuent
à vivre de "jobines". Et dire qu'à leur pré-retraite,
les gens de 55-60 ans vont toucher davantage d'argent que ceux qui vont
les remplacer à travailler... À partir de là, il faut
construire une société égalitaire où la compétence
signifie quelque chose."
"On est en train de vous dire que vous êtes bien maltraités, lance alors Fernand Morin, mais vous êtes-vous déjà demandé pourquoi tout le monde souhaitait avoir un système de défense de groupe? Un jour, des gens ont dit: "Plutôt mourir debout que de travailler à genoux. Ce qu'on ne peut pas faire individuellement, on va le faire collectivement."
"Peut-être, mais aujourd'hui, ceux qui ont inventé le syndicalisme n'y croient plus, fait valoir Réjean Breton. À preuve, les Américains ne sont plus syndiqués aujourd'hui qu'à 15 %. J'en ai contre le fait que la permanence d'emploi exclut l'évaluation de la part de l'employeur. Pourquoi le demi-million de personnes oeuvrant dans le secteur public et para-public serait-il à l'abri de toute évaluation quand les jeunes doivent se battre quotidiennement pour trouver du travail et survivre?"
Règles et conventions
"Sans syndicat, les individus sont isolés", réplique
Fernand Morin, qui admet que le syndicalisme a connu et connaît encore
des "dérapages". "Pourtant, on doit reconnaître
qu'on vit avec les autres. Il faut construire non pas sur l'isolement à
outrance mais sur la solidarité." Quant à la fameuse
règle du "À compétence suffisante, l'ancienneté
prime" prévalant dans les conventions collectives, Réjean
Breton croit que "l'employeur qui s'aviserait de remercier un ancien
à la compétence plus que douteuse ferait certainement face
à des problèmes". De son côté, Fernand Morin
estime que "l'ancienneté constitue une simple règle un
peu plus objective que la seule décision arbitraire de l'employeur
de licencier un employé".
Conclusion de ce débat fort instructif sur la question du syndicalisme: lorsque deux "adversaires" acceptent de se lancer dans la bataille en livrant avec passion leurs points de vue, le résultat est toujours... concluant.