21 novembre 1996 |
Profil
André Picard reçoit le prix d'enseignement
Raymond-Gervais
de l'Association des professeurs de sciences du Québec
Lorsqu'André Picard était étudiant dans les années 1960, il avait fait la promesse que s'il devenait un jour professeur d'université, il écrirait un livre de génie en français. "Je jugeais la difficulté de la matière assez considérable comme ça sans y ajouter l'obstacle de la langue." Le professeur du Département de génie civil a tenu promesse, cinq fois plutôt qu'une. Et depuis, ses cinq ouvrages en ingénierie des structures ont accompagné les longues soirées de labeur de plusieurs milliers d'étudiants.
André Picard célèbre cette année ses 25 ans d'enseignement à l'Université. Par un heureux concours de circonstance, l'Association des professeurs de sciences du Québec lui remettait, il y a un mois, un cadeau tout à fait dans le ton, le prix Raymond-Gervais, décerné annuellement à un professeur pour sa contribution exceptionnelle à l'enseignement des sciences au Québec. "C'est une initiative intéressante", commente humblement le premier universitaire à recevoir cette distinction depuis la création du prix en 1978, "parce que, en comparaison avec la recherche, il y a peu bien peu de prix qui valorisent l'enseignement."
Les trucs du métier
Même si l'idée de devenir professeur ne s'est ancrée
en lui qu'au cours de son doctorat à l'Imperial College of Science,
Technology and Medicine de Londres - "J'avais toujours cru que c'était
hors de ma portée" - André Picard a toujours aimé
expliquer des choses. On imagine tout de même avec un brin d'appréhension
à quoi peut ressembler un cours de trois heures, donné par
cet homme calme et posé, sur des matières aussi arides que
les structures, les charpentes métalliques, la résistance
des constructions ou le béton précontraint.
"Dans la vie de tous les jours, c'est un homme plutôt réservé mais devant une classe, il explose, dit sa collègue et ancienne étudiante Josée Bastien. Il parle fort, il interpelle sans arrêt les étudiants, il transmet son énergie au groupe. Il y met beaucoup de passion et réussit à aller chercher la motivation des étudiants." Son collègue et ex-étudiant Mario Fafard juge que ses deux grandes forces résident dans la clarté de ses explications et dans la passion pour sa matière qu'il réussit à communiquer aux étudiants. "C'est le meilleur professeur que j'ai jamais eu", résume-t-il.
Méthode socratique
André Picard a la dérangeante habitude de démarrer
ses cours par une question. "Je dis aux étudiants que tant que
quelqu'un ne se risquera pas, on n'ira pas plus loin. Même si la réponse
est à côté de la coche, les étudiants voient
que je les respecte." L'étudiant-chercheur Steve Gauthier, qui
a suivi deux cours avec André Picard pendant son bac, confirme: "On
sent qu'il n'est pas prétentieux, qu'il ne se pense pas supérieur
à ses étudiants. Et je ne dis pas ça parce qu'il dirige
mon mémoire de maîtrise."
Si, spontanément, André Picard aime expliquer les choses, il a cependant dû apprendre à les enseigner. "En janvier 1972, se souvient-il, à peine revenu de Londres, je me suis retrouvé devant une classe de 40 étudiants à présenter une matière autre que celle sur laquelle portait mon doctorat. Je me sentais plutôt insécure parce qu'à l'époque, les nouveaux professeurs ne recevaient aucune formation sur la manière de donner des cours. Pour compenser, j'ai beaucoup lu par la suite dans le domaine de la pédagogie."
Leçon fondamentale
Ses 25 années d'enseignement lui ont appris une leçon simple
mais fondamentale: pour donner de bons cours, il faut bien les préparer.
À long terme d'abord, en réunissant du matériel bien
fait, et à court terme ensuite, en révisant avant chaque cours
la matière à couvrir. "On dirait que chaque fois qu'il
a la responsabilité d'un nouveau cours, il revoit de fond en comble
la matière et il en fait un bouquin, dit Josée Bastien. Ça
lui permet de s'approprier la matière et ça paraît dans
son enseignement." De son côté, Mario Fafard lui reconnaît
le flair d'avoir toujours su changer de cours avant que l'intérêt
de le donner ne s'émousse. " Ça explique peut-être
comment, après 25 ans, il continue à enseigner avec autant
de passion."
Savoir s'adapter
Au fil des ans, André Picard a appris l'importance de demeurer à
l'écoute de sa classe. "En tant que professeurs-chercheurs,
nous nous concentrons continuellement sur un même sujet et on oublie
parfois que ce n'est pas le cas des étudiants qui ont bien d'autres
matières à voir. Il faut sentir quand la classe décroche,
ne pas hésiter à revenir en arrière et éviter
de vouloir faire monter le niveau trop rapidement."
André Picard ne compte pas parmi ceux qui jugent les étudiants d'aujourd'hui moins bons que leurs prédécesseurs, mais il identifie toutefois quelques différences. "Règle générale, ils sont beaucoup plus visuels. Comme ils apprennent mieux par l'image, j'essaie de présenter beaucoup de matière avec des schémas, des diagrammes et, lorsque la situation s'y prête, des vidéos." Autre changement important, il sent les étudiants beaucoup plus inquiets par rapport à leur avenir. "C'est malheureux parce que ça mine une partie de leur énergie et de leur motivation."
Tous lui reconnaissent unanimement une caractéristique, qualité ou défaut selon le cas: il est exigeant. "Quand tu prends un cours avec André Picard, tu sais que ce ne seront pas des crédits donnés, dit Josée Bastien. Les étudiants paient pour apprendre quelque chose et ils en ont pour leur argent avec lui." Steve Gauthier compte au nombre des consommateurs bien servis. "Il demande beaucoup à ses étudiants et plus on avance dans nos études, plus il nous fait travailler. Ça pourrait aller sauf que le nombre de crédits qu'on va chercher pour ses cours n'augmente pas. Je lui en ai parlé l'autre jour parce que je sais qu'il est toujours ouvert à la critique."
Professeur mais aussi chercheur
Le premier étudiant-chercheur d'André Picard, Denis Beaulieu,
co-auteur de deux des cinq ouvrages et aujourd'hui vice-doyen à la
Faculté de sciences et de génie, classe son collègue
parmi les professeurs de l'Université qui ont le mieux réussi
à équilibrer enseignement et recherche. "La qualité
de ses cours est presque légendaire à la Faculté (il
a d'ailleurs obtenu le prix Summa de l'enseignement en 1993) mais c'est
aussi un excellent chercheur, fiable, compétent, très rigoureux
et extrêmement discipliné. Nous avons fait de la recherche
ensemble depuis 1978 et, sans être des stars, on formait une des bonnes
équipes au Canada dans le domaine des charpentes métalliques.".
Aujourd'hui professeurs et chercheurs actifs, Mario Fafard et Josée Bastien mesurent mieux les compromis qu'André Picard a dû faire pour maintenir une grande disponibilité pour ses étudiants tout en poursuivant des travaux de recherche. "Certains professeurs se foutaient de nous, dit Mario Fafard, mais pas lui. Il nous recevait toujours comme si nous étions des gens importants." "Comme directeur de thèse, dit Josée Bastien, il était toujours prêt à m'écouter et il a toujours fait preuve d'honnêteté et de franchise. Il n'y avait jamais d'ambiguïté avec lui. Sous tous ces aspects, c'est un professeur exemplaire et un modèle à atteindre. Je ne suis d'ailleurs pas certaine de pouvoir y parvenir un jour."