L'escargot du Québec: lentement, mais sûrement
L'escargot du Québec: lentement, mais sûrement
Grâce aux patients efforts de deux biologistes, des escargots
se reproduisent maintenant en captivité. Cette découverte
fera-t-elle sortir l'industrie québécoise de l'escargot de
sa coquille?
En captivité, les escargots sauvages ne se reproduisent pas en criant
lapin. Il faut trouver la température juste, l'humidité idéale
et le terreau parfait pour convaincre ces farouches petites bêtes
de laisser libre cours à leurs pulsions animales. Trouver la combinaison
aphrodisiaque pour que ces animaux abandonnent leur comportement monastique
exige, au bas mot, une patience de moine.
André Duval et Pierre Giovenazzo en savent quelque chose. Les deux
chercheurs du Département de biologie étudient, le premier
depuis une vingtaine d'années et le second depuis bientôt dix
ans, une espèce d'escargot marocain,
Otala lactea, dont la
chair, riche en protéines et pauvre en graisses, répond parfaitement
aux nouvelles préoccupations des consommateurs nord-américains.
Leurs patients efforts ont récemment porté fruit puisque la
cigogne des escargots a laissé, dans leur laboratoire du pavillon
Charles-Eugène-Marchand, des oeufs d'où sont éclos
les premiers petits
Otala lactea reproduits en captivité.
Commerce de la chair
Cette première constitue une bonne nouvelle tant pour les escargots
que pour ceux qui font le commerce de leur chair. En effet, le manque d'intérêt
des escargots pour la chose sexuelle derrière les barreaux constitue
un obstacle important à leur élevage commercial et, conséquemment,
une menace à la survie des populations sauvages. Les escargots vendus
sur le marché proviennent, règle générale, du
milieu naturel et ce type de récolte, mal contrôlé,
décime les populations sauvages. Face à cette situation qui
rappelle celle de l'ail des bois au Québec, plusieurs pays ont misé
sur l'élevage des escargots en captivité pour assurer la pérennité
de cette industrie. «Les Français ont été parmi
les premiers à se lancer dans l'héliciculture. En visitant
leurs installations à la fin des années 1970, l'idée
m'est venue qu'on pourrait produire ici des escargots québécois»,
raconte André Duval.
Pas question cependant de miser, comme les Français, sur des escargots
du genre
Helix puisqu'il est interdit de les importer vivants en
Amérique du Nord, par crainte des dommages qu'ils pourraient causer
à l'agriculture. André Duval a donc opté pour la seule
espèce d'escargot de taille appréciable qui pouvait montrer
patte blanche aux douanes,
Otala lactea. Depuis, au gré des
subventions, qui entrent parfois à vitesse d'escargot, il lève
le voile sur la biologie reproductrice de cette espèce, aidé
en cela par Pierre Giovenazzo qui, vers la fin des années 1980, a
réalisé une maîtrise sur cette bête. «L'élevage
des escargots n'est pas aussi facile qu'on le croyait au départ et
même la France connaît des difficultés, signale André
Duval. C'est comme pour la pisciculture. Il ne suffit pas de mettre des
poissons dans un trou rempli d'eau pour en obtenir en quantité. Il
faut connaître la biologie de l'espèce.»
Malgré ses airs nonchalants,
Otala lactea est une espèce
prolifique qui pond de une à trois fois par année, chaque
ponte comptant entre 100 et 150 oeufs. Hermaphrodite, cet escargot développe
d'abord ses gamètes mâles, les échange avec ses partenaires,
puis, un peu plus tard dans le cycle reproducteur, produit des gamètes
femelles qui sont aussitôt fécondées. On ne connaît
pas encore la longévité de cette espèce.
La demande existe
L'expertise des deux chercheurs a maintenant dépassé les
frontières du Québec puisque même des chercheurs du
Maroc, d'où l'espèce est indigène, font appel à
eux pour lancer leurs propres élevages. «Maintenant que nous
savons comment les multiplier en captivité, il nous reste à
faire des études de rentabilité économique pour déterminer
combien on peut en produire par mètre carré de serres et à
quel coût, dit André Duval qui a déjà réalisé,
dans le passé, des travaux avec l'Escargotière de Baie Saint-Paul.
Il existe une forte demande pour l'escargot en Amérique du Nord bien
qu'on apprécie peu sa chair au Québec, déplore le chercheur.
«Ça se comprend facilement puisqu'ici, on consomme surtout des
escargots asiatiques en boîte, au goût caoutchouteux, et des
escargots au beurre à l'ail qui ne goûtent que le beurre à
l'ail. C'est dommage car il existe des dizaines de bonnes recettes à
base d'escargots.»
Jean Hamann