19 septembre 1996 |
La doyenne des sciences à l'Université Laval, la chimie, fêtait le 12 septembre ses 75 années d'existence. Cet anniversaire commémore non seulement les débuts de l'École supérieure de chimie mais aussi un des moments clé dans la transformation de la société québécoise d'alors en une société moderne faisant une large place aux sciences. C'est d'ailleurs à partir du noyau de professeurs de l'École supérieure de chimie que naîtra, en 1937, la Faculté des sciences qui deviendra plus tard, en 1974, la Faculté des sciences et de génie.
Histoire de mieux jauger le chemin parcouru au cours de toutes ces années, le Département de chimie a invité l'historienne des sciences Danielle Ouellet à ouvrir les festivités marquant ce 75e anniversaire. Bachelière et maître en mathématiques de l'Université Laval, Danielle Ouellet s'intéresse depuis plus de dix ans à l'histoire des sciences et elle a notamment publié des biographies d'Adrien Pouliot et de Fernand Seguin. Sa passion pour l'histoire l'a amenée à poursuivre des études au doctorat sur l'émergence de deux disciplines scientifiques à l'Université Laval: la chimie (1920-1937) et la physique (1937-1950). Elle lançait, le jour même du 75e anniversaire, son dernier ouvrage Histoires de chimistes, publié aux Presses de l'Université Laval, qui raconte comment l'Université a vécu l'arrivée de la chimie dans ses murs.
Chimie or not chimie?
Au début du siècle, l'Université Laval comptait quatre facultés: théologie, droit, médecine et arts. Les cours de sciences étaient dispensés à la Faculté des arts par des professeurs sans grande formation scientifique. Alors que les universités anglophones formaient depuis un bon moment des scientifiques qui faisaient carrière dans l'industrie et la fonction publique, les universités francophones misaient surtout sur la formation de jeunes gens destinés aux professions libérales. Il faut dire que les ingénieurs que formait l'École Polytechnique depuis 1873 avaient peine à trouver de l'emploi dans les entreprises et dans la fonction publique fédérale, précise Danielle Ouellet. Mais la Première Guerre mondiale et l'industrialisation rapide de l'Amérique du Nord allaient changer l'ordre des choses.
Selon l'historienne, le professeur de chimie Georges Garneau, proche du milieu des affaires et de la politique, allait catalyser le rêve de créer un lieu d'enseignement de la chimie en sensibilisant la bourgeoisie de la ville de Québec à l'importance économique qu'allait bientôt prendre cette science. Le riche industriel William Price, le propriétaire de la Dominion Corset, Georges-Élie Amyot, et la famille Paquet, propriétaire des magasins du même nom, comptent parmi ceux qui ont répondu à une campagne de levée de fonds grâce à laquelle le projet d'École supérieure de chimie a pu se concrétiser.
La filière suisse
Comme il n'y avait alors aucun spécialiste de la chimie au Québec, les responsables de l'Université se sont tournés vers une institution francophone et catholique d'Europe pour recruter le premier directeur de l'École, explique Danielle Ouellet. C'est ainsi qu'à l'hiver de 1921, Paul Cardinaux, de l'Université de Fribourg, débarque à Québec. Rapidement, il impose l'idée que pour former de bons chimistes, il faut également leur enseigner d'autres disciplines scientifiques. Trois autres professeurs de Fribourg se joignent éventuellement au corps professoral de l'École dans lequel se trouvent également quelques professeurs québécois chargés de l'enseignement des matières complémentaires (notamment Adrien Pouliot qui, à partir de 1922, y enseigne les maths). Le 12 septembre 1921, l'École accueille une première classe de 14 étudiants dont trois seulement obtiendront leur diplôme de chimiste quatre ans plus tard.
La filière suisse connaît bientôt quelques ratés. Cardinaux, malgré ses compétences, est congédié en 1925 pour détournement de fonds ainsi que commerce d'alcool et de produits pharmaceutiques; un autre professeur suisse est remercié quelques heures après avoir eu une aventure avec la nièce d'un membre du clergé et un troisième, qui dirigerait sa classe comme un régiment militaire, est poussé à quitter l'Université. Alexandre Vachon prend la relève et embauche, en 1925, le professeur Joseph Risi, également de Fribourg, dont l'efficacité redressera cependant la réputation de son alma mater.
Joseph Risi lance également l'École de chimie sur la voie de la recherche. En 1932, sous sa direction, le premier thésard en chimie, Arthur Labrie, obtient son doctorat pour des travaux portant sur l'arôme du sirop d'érable. Cyrias Ouellet, autre membre des premières promotions, ouvre lui aussi de nouveaux horizons aux chimistes québécois en poursuivant des études supérieures dans les plus grands laboratoires étrangers de l'époque avant de revenir enseigner à l'École de chimie en 1934.
La chimie aujourd'hui
Le grand plan, échafaudé dans les années 1920, a porté ses fruits. En 75 ans, l'Université Laval a formé pas moins de 721 bacheliers en chimie qui ont apporté leur contribution tant au secteur industriel qu'à celui de l'enseignement de la chimie. Parmi les dipômés occupant aujourd'hui d'importants postes de direction, mentionnons Louis Berlinguet, président du Conseil des sciences et de la technologie du Québec, Jocelyn Tremblay, pdg de la Société des alcools du Québec, Michel Bédard, directeur général de Métallurgie du cuivre Noranda et Jean-Yves Savoie, directeur général de l'Institut de recherche en santé et sécurité du travail du Québec.
De nombreux étudiants-chercheurs ont suivi les traces d'Arthur Labrie et de Cyrias Ouellet: 251 ont obtenu des maîtrises et 231 des doctorats en chimie. Aujourd'hui, le Département de chimie compte une centaine d'étudiants au premier cycle, un peu plus de trente au deuxième cycle et une quarantaine au doctorat. Leur formation est encadrée par 20 professeurs et une vingtaine de personnes oeuvrent dans les laboratoires et les bureaux du Département. «Le taux de placement de nos finissants au baccalauréat est d'environ 95 %, signale l'actuel directeur du Département, Michel Pézolet. En dépit de la récession, le marché de l'emploi pour les finissants en chimie demeure très bon».
L'importance que les pionniers ont donné à la recherche subsiste aujourd'hui. Les chercheurs oeuvrent dans différents champs de la chimie et on retrouve bon nombre d'entre eux au sein de deux centres de recherche: le Centre de recherche en sciences et ingénierie des macromolécules et le Centre de recherche sur les propriétés des interfaces et de la catalyse. En 1996, les chercheurs du Département ont obtenu plus de 1,6 million de dollars en subventions et contrats de recherche et, bon an, mal an, ils publient une cinquantaine d'articles dans des revues scientifiques.
Pour célébrer dignement les réalisations des générations de chimistes formés à l'Université, le Département présente cet automne un programme varié d'activités qui culminera le 30 novembre par un banquet-retrouvailles auquel plus de 800 personnes seront conviées.