7 septembre 1995 |
Id�es
L'ENJEU DE LA QUESTION DU QU�BEC
par Claude Bariteau
professeur au D�partement d'anthropologie
Le monde nouveau en �mergence sera le produit des �tats-nations qui le composent et qui servent de code d'acc�s � l'Histoire. Le Qu�bec a tout en main pour devenir un de ces �tats. Qu'arrivera-t -il si son peuple refuse encore une fois ce d�fi?
Avec l'�lection du Parti qu�b�cois en 1994, la question du Qu�bec n'a d'int�r�t qu'en regard de l'accession ou non d'un peuple, celui du Qu�bec, au titre de membre � part enti�re de la communaut� internationale. Il importe alors que ce peuple puisse s'exprimer en connaissance de cause.
� cette fin, la prise en compte de la conjoncture internationale actuelle et l'identification du probl�me qu�b�cois permettront au peuple qu�b�cois de mieux �valuer si son maintien au sein du Canada est plus appropri� que son accession au titre d'�tat- nation pour affirmer sa sp�cificit�.
La question du Qu�bec se pose en 1995 dans un contexte international o� deux changements majeurs sont � souligner:
l'effondrement du bloc communiste; l'�mergence d'un monde globalis� au sein duquel s'exprime la soci�t� des nations.
Avec l'effondrement du bloc communiste, l'on a assist�, ici et l�, au renforcement d'une droite politique qui a questionn� les filets de s�curit�. Cette d�rive s'est manifest�e surtout en Grande-Bretagne, aux �tats-Unis, en France, en Espagne et au Canada. L� o� elle s'exprime, il en est ressorti un accroissement des riches, une multiplication des pauvres et un r�tr�cissement de la classe moyenne. Bizarrement, les pays qui ont mieux r�ussi en mati�re de d�veloppement �conomique et de cr�ation d'emplois, entre autres le Danemark, l'Autriche et la Belgique, sont ceux qui ont conserv�, red�fini et parfois accru les protections sociales.
En quelque sorte, depuis cet effondrement, le bloc capitaliste n'est pas devenu monolithique. Seul l'ordre de Yalta a disparu et, avec lui, la d�marcation Est-Ouest comme le clivage Nord- Sud. Le monde est depuis globalis�. Ce changement sit�t apparu, le monde nouveau est depuis pr�sent� sous l'angle de la soci�t� des nations ou celui d'ensembles supranationaux en comp�tition.
L'illusion de Masstricht
Selon cette derni�re approche, tout n'aurait d�sormais de sens qu'au niveau supranational, l� o� se fusionneront des entit�s hier encore ind�pendantes, ou au niveau infranational, lieu des r�gions et de l'expression de la diversit� culturelle. Le mod�le europ�en, celui de Maastricht, en serait la porte d'entr�e. Dans son sillon, d'autres mod�les analogues verraient le jour.
S'il peut �tre imagin�, ce monde des blocs demeure virtuel. Pour plusieurs analystes, les ensembles qu'il annonce deviendront tout au plus des zones de libre-�change. � leur avis, Maastricht n'aboutira pas parce que le monde nouveau prise plus la passion de l'ind�pendance que le go�t de la hi�rarchie. Ce serait l� d'ailleurs sa principale force et celle-ci conduirait � une valorisation du seul mod�le ayant droit de cit�: l'�tat-nation.
Il est fort possible qu'aucune de ces approches ne se concr�tise. Chose certaine, toutefois, ce monde nouveau sera le produit des �tats-nations qui le composent. Et, puisqu'il en est ainsi, aucun peuple n'�chappera � la n�cessit� de s'y d�finir. Aussi, ne doit-on pas se surprendre des revendications de souverainet� qui s'y expriment.
La question du Qu�bec trouve ici son sens. Pour le saisir, il importe de bien cerner deux moments importants: 1) la R�volution tranquille au d�but des ann�es 1960; 2) le rapatriement de la Constitution du Canada en 1982, sans l'accord du Qu�bec.
L'impossible retour � l'esprit de 1867
Apr�s les insurrections de 1837 et de 1838, la question du Qu�bec s'est surtout pos�e depuis la fin de la Deuxi�me Guerre mondiale. Lors de cette guerre, les provinces furent invit�es par le Gouvernement canadien � c�der leurs droits de taxer les individus et les compagnies. Elles accept�rent � la condition de les reprendre apr�s la guerre. Le gouvernement canadien renia sa parole et offrit aux provinces des subventions en contrepartie.
Tous les gouvernements du Qu�bec ont par la suite revendiqu� le respect de la Constitution de 1867. Sans succ�s. En 1960, le Parti lib�ral de Qu�bec s'est fait �lire en tablant sur ce dossier. S'il refusa les subventions, il accepta de d�velopper les programmes auxquels elles �taient destin�es. Un accord fut conclu en ce sens.
De cet accord est n�e la R�volution tranquille. Dans sa foul�e, il s'est constitu� un type particulier de relations entre les forces vives du Qu�bec et a pris forme une nouvelle conception du Qu�bec, des Qu�b�cois et des Qu�b�coises. C'est ce qui a favoris� l'�mergence d'un mod�le de d�veloppement dont les assises furent ethniques et la mise en op�ration, fortement technocratique.
Le Qu�bec inqui�ta alors la classe politique f�d�raliste. Le Gouvernement canadien, avec Pierre Elliott Trudeau, tenta de revaloriser le pouvoir des francophones au sein du Canada et d�pensa des sommes importantes dans le but de promouvoir le nationalisme canadien. La dette canadienne en fut la cons�quence.
Au Qu�bec, � la m�me �poque, le Parti qu�b�cois prit le pouvoir. Toutefois, le projet fondamental de ce parti, la souverainet�- association, ne re�ut qu'un appui mitig� � la suite de l'engagement solennel de Pierre Elliott Trudeau � modifier et � rapatrier la Constitution canadienne. Avec le rapatriement de 1982, le Qu�bec se retrouva avec moins de pouvoir dans la mesure o� la Loi fondamentale du Canada fut compl�t�e d'une Charte des droits et libert�s et d'un dispositif d'amendement rendant presque impossible tout changement majeur.
Exit la th�se des deux nations
Ce coup de force eut des suites politiques. Elles sont connues, la plus r�cente �tant l'�lection du Parti qu�b�cois en 1994. Il a aussi provoqu� une red�finition des rapports entre les diff�rentes composantes de la population du Canada comme celle du Qu�bec. Ce point est des plus importants. Il r�v�le l'impossibilit� de d�finir aujourd'hui le Canada � partir de la th�se des deux nations fondatrices.
Depuis 1982, un Canada nouveau est en marche. Il privil�gie un mod�le de d�veloppement � l'am�ricaine et une conception de la nation qui ne peut laisser place � une soci�t� distincte au Qu�bec. Dans ce nouveau Canada, l'entreprise priv�e, �Team Canada� en t�te, et la formation de la main-d'oeuvre sont les piliers, les provinces devant assumer l'entretien de leur population selon les normes canadiennes en vigueur.
� ce Canada, s'oppose aujourd'hui un Qu�bec d�fini sur des bases nouvelles. L'une d'elles est la volont� exprim�e de construire au Qu�bec une nation plut�t que d'en affirmer une issue du pass�. Une autre, celle d'enraciner cette construction dans un projet de soci�t� qui, reconnaissant le caract�re pluriel du Qu�bec, valorise une plus grande sociabilit�.
Ce nouveau Qu�bec est plus qu'en chantier. D�j� pr�sent � l'�poque de la R�volution tranquille, il s'affirme sous l'angle de l'individualisme d�mocratique et est toujours promu par les forces vives qui, au travers les ans, se sont concert�es pour d�finir des politiques de cr�ation et de redistribution de la richesse � l'aide de mesures sociales appropri�es.
Une affirmation bloqu�e
En 1995, la question du Qu�bec ne se d�finit plus sous l'angle de l'ethnicit�. Elle renvoie � un mode de vie issu des construits de la R�volution tranquille. Aussi, interpelle-t-elle toutes les composantes de la population du Qu�bec. D'ailleurs, ce mode de vie, ces construits et ceux qui pourraient s'y ajouter en sont l'enjeu principal. Ou bien, ils sont d�finis au Qu�bec, ou bien c'est le Canada qui d�cide de leur sort et du sort du Qu�bec.
Si la question se pose en ces termes, c'est tout simplement parce que l'affirmation de la qu�b�cit� est bloqu�e au Canada et ne peut dor�navant s'exprimer qu'en relation avec le monde. Dans un tel contexte, les relations du Qu�bec avec le Canada ne pourront se pr�ciser qu'apr�s l'ind�pendance du Qu�bec. Sans elle, le Qu�bec sera ce que le Canada veut qu'il soit.
Le Qu�bec a tout en main pour devenir un Etat-nation qui sert de code d'acc�s � l'universel. Si le peuple du Qu�bec refuse ce d�fi, il tournera le dos � l'histoire. Le Qu�bec deviendra alors une grosse municipalit�. Une terre de refuge pour apatrides en mal de cocons ethniques. Une sorte de lieu de lamentations. Mais aussi le t�moignage de l'ind�cision et le th��tre des petits bonheurs comme des prouesses individuelles.
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