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9 mars 1995 ![]() |
Parution
L'histoire de Laval selon Jean Hamelin
� l'aube de sa retraite, un historien - et excellent conteur - brosse un tableau, parfois critique, d'une institution vivante qui n'a jamais craint le changement.
Le livre aurait pu s'appeler Jean Hamelin raconte ou Les 1001 nuits de l'Universit� Laval puisque, tel un Sh�razade masculin, l'auteur de l'Histoire de l'Universit� Laval publi� aux PUL et lanc� hier, mercredi 15 mars, entreprend son r�cit historique pour assurer la survie de l'institution. Comme la c�l�bre favorite du Sultan, il m�nage ses effets et tient son lecteur en haleine tout au long des 150 ans qui retracent l'�pop�e de l'Universit�, sans jamais rien d�voiler des �v�nements qui se d�roulent au paragraphe suivant. Jean Hamelin, historien de renom et professeur �m�rite de l'Universit� Laval, ne d�fend pas sa vie en d�roulant le fil de la m�moire de la collectivit� universitaire. Mais, � l'aube de sa retraite, il a voulu l�guer aux g�n�rations futures une certaine conscience historique, car selon lui, seule la connaissance de la gen�se permet de comprendre et d'appr�hender les probl�mes d'aujourd'hui.
�Cet ouvrage constitue mon testament, explique l'auteur d'entr�e de jeu. � l'exception de la croissance d�mographique et de l'apparition d'outils technologiques, les difficult�s auxquelles se heurte l'Universit� Laval existaient d�j� au 19e si�cle. Seules les solutions diff�rent aujourd'hui.� Jean Hamelin d�crit ainsi minutieusement le passage d'une universit� inspir�e des mod�les m�di�vaux, �pris de formation des beaux esprits, � une institution tiraill�e entre l'�ducation des personnes et la formation sur mesure d'une main-d'oeuvre sp�cialis�e. Derri�re la petite histoire de l'Universit� Laval, la consultation de plusieurs dizaines d'annuaires, de centaines de rapports, l'�tude des discours des multiples recteurs, il a cherch� � retrouver la petite musique d'ensemble qui donne son �me au v�n�rable �tablissement. Sans chercher � couler dans le roc l'histoire officielle de l'Universit�.
Au service de l'�glise
En 1852, lorsque l'Universit� Laval nait � Qu�bec, soutenue par les efforts financiers du Petit S�minaire et de ses seigneuries, il s'agit d'abord et avant tout pour le clerg� de former des pr�tres et des la�cs au service de la religion. Qu'il s'agisse des cours de diction ou de chant, les dirigeants de cette universit� catholique veulent �duquer les �lites francophones selon les besoins de l'�glise. Le d�m�nagement et la construction de la Cit� universitaire � Sainte-Foy, au tournant des ann�es soixante, refl�te d'ailleurs encore la pens�e des fondateurs. Les b�tisseurs du campus �rigent en effet la Facult� de th�ologie, celle de Philosophie, puis des Lettres et de Droit � proximit� de ce qui devait servir de cath�drale � Qu�bec, rel�guant les �coles professionnelles et les terrains de sports � la p�riph�rie.
Mais au d�but du si�cle, l'Universit� s'efforce aussi de r�pondre aux attentes de la soci�t� industrielle en �mergence. Les hommes d'affaires de Qu�bec r�clament en effet une formation professionnelle sup�rieure. Les �coles de foresterie et d'agriculture sont donc mises en place en 1905 et 1912, la Facult� des sciences naissant pour sa part en 1920, dans la foul�e de l'int�r�t suscit� pour l'industrie chimique apr�s la Premi�re Guerre mondiale. Cet engagement dans la modernit� n'emp�che pas le clerg� de garder la main mise sur l'enseignement, et d'accepter avec m�fiance l'intervention financi�re de l'�tat dans les finances universitaires car les autorit�s �ccl�siales craignent de perdre le contr�le.
Attention, sciences!
Les dirigeants se m�fient d'ailleurs un peu des th�ories scientifiques nouvelles et invitent les professeurs � pr�ter le �serment anti-moderniste� en d�but d'ann�e � la Grand-messe du Saint-Esprit. Cette attitude a des r�percussions sur l'enseignement de certaines mati�res - comme l'�volution des esp�ces - et contraint les administrateurs � recruter uniquement des professeurs catholiques. De nombreux enseignants, issus de l'Universit� suisse de Fribourg, de la m�me ob�dience que l'Universit� Laval, viennent d'ailleurs renforcer le corps professoral scientifique.
Mais aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, comme l'explique Jean Hamelin, le poids du clerg� sur l'enseignement s'all�ge grandement dans les faits, m�me si les r�glements continuent � transmettre l'image d'une �glise dominante. L'Universit� Laval s'efforce de r�pondre aux besoins de la R�volution tranquille dans les ann�es soixante en formant des fonctionnaires capables de proposer des solutions nouvelles gr�ce � de solides bases g�n�rales acquises � la Facult� des arts. �La formation classique permettait aux �tudiants de relier les disciplines entre elles et de situer les probl�mes dans leur contexte, explique Jean Hamelin. Aujourd'hui, l'Universit� ressemble � un centre d'achat o� on vient chercher ses cours, sans formation sp�cifique dans une discipline. Tout est trop �parpill�.�
Sans pr�coniser un retour en force vers la formation classique, le professeur d�plore la d�rive d'une universit� � l'image de la soci�t�, de plus en plus dirig�e par les administrateurs et les gestionnaires, et qui n�glige sa mission envers les �tudiants. Dans son r�cit, il situe d'ailleurs la perte du pouvoir des professeurs sur leur enseignement au d�but des ann�es 70, alors que la publication du rapport Roy n'a pas suffi, selon lui, � r�veiller les esprits. Jean Hamelin, qui d�nonce le manque d'int�r�t pour le premier cycle, souhaite que chaque facult� d�cide de la formation de l'�tudiant puis l'oriente ensuite vers une �cole professionnelle pour se frotter � la pratique, plut�t que de le former uniquement � un seul m�tier selon les pr�ceptes des corporations professionnelles. L'histoire n'est-elle qu'un perp�tuel recommencement ? D�j�, en 1902, certains craignaient que l'Universit� Laval ne devienne une �cole industrielle.
PASCALE GU�RICOLAS
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