26 janvier 1995 |
Martine Roberge: cette �trange atmosph�re
Comment expliquer que le th�me de la peur soit omnipr�sent dans les r�cits de tradition orale mais aussi dans un champ narratif plus �moderne� comme le cin�ma? Le fait de mettre en r�cit les peurs, de fa�on r�elle ou symbolique, a-t-il une influence sur le contr�le m�me de ces peurs?
Ce sont quelques-unes de ces questions qu'aborde Martine Roberge dans sa th�se de doctorat intitul�e �Les repr�sentations de la peur dans le discours: essai d'interpr�tation ethnologique�. Selon la chercheuse, qui a effectu� cette �tude sous la supervision de Jean Duberger, �les r�cits d'aujourd'hui -oraux, litt�raires ou filmiques- qui portent sur le th�me de la peur agiraient comme catalyseurs des �motions bien r�elles que les individus �prouvent quotidiennement�.
�La �parole conteuse�, celle qui pr�cis�ment met en mots ou en images des repr�sentations de la peur et des situations angoissantes, correspond � un besoin de dire et de s'exprimer, soutient Martine Roberge. Pour cette raison, la fonction cathartique, comme explication ou justification de l'existence de tels r�cits, lui semble extr�mement plausible. Consistant en un effet de purgation des passions produit sur les spectateurs d'une repr�sentation dramatique, �la fonction cathartique pr�sente en effet les r�cits comme une projection simul�e de situations angoissantes qui stimule et provoque, le temps d'un r�cit, des r�actions � une tension et un suspense�.
Comme contribution � la discipline ethnologique, Martine Roberge propose le sch�ma narratif de l'�tranget� comme structure fondamentale des �histoires de peur�. Pour le b�n�fice de nos lecteurs et lectrices, disons seulement que le p�le principal de ce sch�ma est celui du R�el autour duquel s'articulent deux couples d'opposition: r�el/irr�el, imaginaire/non imaginaire, possible/impossible.
� ce sch�ma sont associ�s des atmosph�res. Par exemple, l'atmosph�re caract�risant le mieux l'intersection entre le R�el et le Possible est celle qui se d�gage de la science-fiction. �Ce genre litt�raire met en sc�ne un certain nombre de figures, de motifs et d'�v�nements qui sont admis comme possibles et vraisemblables dans le r�cit. La science-fiction pr�tend que les faits ou choses peuvent exister dans un autre lieu et un autre temps.�
L'atmosph�re du fantastique, elle, s'exprime dans l'intersection entre le R�el et l'Imaginaire. �Qu'il d�bouche sur une explication rationnelle ou qu'il demeure sans explication, le rapport au r�el est n�cessaire pour cr�er et maintenir l'h�sitation qui d�clenche l'incertitude. De m�me, le rapport � l'Imaginaire est aussi important car c'est lui qui introduit le doute, entre autres par les �l�ments surnaturels. Maintenue ou r�solue, l'h�sitation est primordiale. C'est � partir d'elle que peut se concevoir l'atmosph�re la plus importante et la plus intense donn�e par le sch�ma:
l'�trange, qui se situe au centre des trois intersections.�
C'est ce point de rupture, cette faille, cet �entre-deux� que Martine Roberge appelle �l'insoutenable �tranget� de l'�tre�, qu'incarnent les figures du vampire, du Diable ou du psychopathe.
Ren�e Larochelle
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