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26 janvier 1995 ![]() |
PROFIL
L'emp�cheur de tarifer en rond
Sp�cialiste incontournable en �conomie de l'�nergie, Jean-Thomas Bernard vient de recevoir la prestigieuse bourse Fulbright octroy�e par cette fondation canado-am�ricaine.
Lors de la c�r�monie de d�part des finissants du Coll�ge de Saint-Anne-de -la-Pocati�re, il n'existait pas de couleur de ruban appropri�e pour d�corer la toge de Jean-Thomas Bernard afin de symboliser la mati�re choisie pour la poursuite de ses �tudes � l'universit�. Tout simplement parce que personne, en 1966, n'avait encore choisi de se diriger en �conomique. Sauf ce jeune homme ent�t�, qui consid�rait la science politique ou la sociologie comme trop abstraites, et optait, par �activisme�, pour une discipline bien ancr�e dans la r�alit�.
Histoire de ne pas accomplir le parcours classique de tout jeune coll�gien, il a aussi d�cid�, �par exotisme� comme il le reconnait lui- m�me, de suivre ses cours de premier cycle � Ottawa, puis de sauter directement au troisi�me cycle dans une universit� am�ricaine de Nouvelle -Angleterre. Son doctorat portait d'ailleurs sur les entreprises d'�lectricit� am�ricaines, un des ses th�mes de recherche de pr�dilection encore aujourd'hui qui lui permet de joindre recherche et utilit� sociale.
Plong� dans le tourbillon de la R�volution tranquille, Jean-Thomas Bernard avait soif, � cette �poque, de changements sociaux et s'imaginait d�j� sous les traits d'une �minence grise, influen�ant de ses conseils �clair�s les d�cisions des politiciens. L'actuel directeur du Groupe de recherche en �conomie de l'�nergie et des ressources naturelles (GREEN) ne renie pas ses amours de jeunesse, m�me s'il n'a pas fait carri�re dans la fonction publique. Mais la renomm�e et l'expertise que le chercheur a acquises tout au long de sa carri�re universitaire lui ont permis de devenir, au fil des ans, un expert incontournable dans le secteur �nerg�tique. Au point que le minist�re de l'�nergie et des ressources, le gouvernement et Hydro-Qu�bec le consultent r�guli�rement sur les questions touchant la demande d'�lectricit� ou la tarification.
Pas dans le sens du poil
Pourtant, le chercheur ne flatte pas les pouvoirs publics dans le sens du poil, bien au contraire. Depuis plus d'une d�cennie, il dit et r�p�te sur toutes les tribunes que les tarifs d'�lectricit� des clients r�sidentiels devraient augmenter de 20 � 30% pour rattraper le prix de revient. �J'ai parfois l'impression de pr�cher dans le d�sert, avoue le professeur au D�partement d'�conomique. Mais je sais aussi qu'une seule personne ne va pas changer la structure de l'industrie.� Selon lui, son combat n'a rien d'inutile puisqu'il permet notamment aux partisans d'une politique des prix plus conformes � la r�alit� chez Hydro-Qu�bec de s'exprimer. Lorsqu'il a vigoureusement d�nonc� la vente, � perte, d'�lectricit� aux grandes alumineries par le gouvernement du Qu�bec, le d�bat a pris une ampleur que le chercheur n'avait pas soup�onn�e. Jean-Thomas Bernard joue -t-il le r�le de d�tecteur de conscience?
�C'est un pur et dur, il ne fait pas de compromis et tient � sa libert� universitaire,� explique Pierre Dupont, un de ses anciens �tudiants. Le directeur des droits hydrauliques et des tarifs au minist�re de l'�nergie et des ressources consulte souvent son ancien professeur et appr�cie sa rigueur intellectuelle, m�me si les deux hommes divergent souvent d'opinion sur les dossiers �nerg�tiques. �Lorsqu'il mord un os, il continue longtemps � le gratter�, confirme Claude Autin, un des professeurs du D�partement d'�conomique qui a embauch� le jeune dipl�m� de l'Universit� de Pennsylvanie en 1976. �Il a compris que pour publier, il fallait se sp�cialiser. La vision du chercheur polyvalent qui remonte au Moyen-�ge n'a plus cours aujourd'hui.�
Un seul cr�do �nerg�tique, les prix
Inlassablement, Jean-Thomas Bernard applique les m�thodes �conom�triques au domaine �nerg�tique, en essayant de comprendre quelle est la fa�on la plus �conomique de r�pondre aux besoins des consommateurs. �Lors de la crise p�troli�re, le gouvernement a choisi de s'orienter vers l'�nergie hydro-�lectrique de sorte que pr�s de 80% des foyers au Qu�bec se chauffent de cette fa�on, explique-t-il. Aujourd'hui, on ne peut augmenter la facture de 30% pour couvrir les frais r��ls, car ce serait suicidaire politiquement.� Pourtant, si les pouvoirs publics remontaient les tarifs de l'�lectricit�, ils pourraient diminuer les taxes, pense Jean-Thomas Bernard, qui par ailleurs fonde peu d'espoir sur le programme d'efficacit� �nerg�tique d'Hydro-Qu�bec: �C'est tr�s difficile de faire diminuer la consommation lorsque les tarifs sont tr�s bas. Je crois que la demande va continuer � augmenter et qu'on risque de perdre 500 millions de dollars si Grande-Baleine ne se r�alise pas.�
Expert estim� dans son domaine de recherche, Jean-Thomas Bernard fait b�n�ficier les �tudiants des fruits de sa renomm�e. Ces derniers ont en effet acc�s aux bourses de subvention de divers organismes publics ou priv�s vers�es au GREEN. Le chercheur associe �galement fr�quemment ses nombreux �tudiants de ma�trise � ses publications, et s'efforce ensuite de les placer sur le march� du travail gr�ce aux contacts qu'il entretient avec le milieu professionnel. Toutefois, son go�t prononc� pour la recherche n'empi�te pas sur ses qualit�s d'enseignant, bien au contraire. �Il a vraiment le feu sacr�. On savait � quelle heure le cours commen�ait, mais il fallait n�gocier pour pouvoir l'arr�ter, se souvient Pierre Dupont. Il savait illustrer les th�ories �conomiques par des exemples concrets sur l'�nergie. Le seul probl�me, c'�tait d'arriver � d�chiffrer son �criture au tableau!�
�Sa porte �tait toujours ouverte, que ce soit pour aborder des aspects p�dagogiques de la mati�re ou des probl�mes plus personnels�, raconte Simon Thivierge, un autre de ses anciens �tudiants. Cet analyste au minist�re de l'�nergie et des ressources �voque ainsi le souvenir de ces finissants exil�s � Ottawa qui s'�panchaient aupr�s de leur professeur, � chacune de ses visites dans la capitale f�d�rale, sur la difficult� de vivre en sol ontarien. �Il r�ussit � se couper en morceaux pour donner du temps � chacun�, remarque, un brin admiratif, Denis Bolduc, directeur par int�rim du GREEN, qui a calcul� que certaines ann�es Jean-Thomas Bernard dirigeait simultan�ment six m�moires de ma�trise tout en menant ses propres travaux de recherche. Hydro-Qu�bec n'a qu'a bien se tenir avec un adversaire aussi redoutable.
PASCALE GU�RICOLAS