26 janvier 1995 |
COLLOQUE DU C�LAT
Les Indiens blancs d'Am�rique
L'identit� masculine canadienne-fran�aise, puis qu�b�coise, reposerait sur un tiraillement s�culaire entre le nomadisme et la s�dentarit�.
Incapable de choisir entre sa belle �milie et la for�t, d�laissant plus souvent qu'� son tour femme et prog�niture pour �prendre le bois�, l'Ovila Pronovost des Filles de Caleb est un �sauvage�, un nomade, � qui la s�dentarit� - l'attachement � la terre - ne r�ussit d�finitivement pas. �Comme l'Indien, Ovila est prodigue, impr�voyant, imp�tueux, infatiguable, habile de ses mains; comme le Survenant du roman de Germaine Gu�vremont, il arrive en coup de vent, s'enfuit sans pr�venir, n'est jamais l� quand un coup dur frappe�, a expliqu� R�al Ouellet, professeur au D�partement des litt�ratures, l'un des conf�renciers au colloque annuel de C�LAT (Centre d'�tudes sur la langue, les arts et les traditions populaires des francophones en Am�rique du Nord) qui a eu lieu r�cemment sous le th�me: �Nous et les autres: la formation des espaces identitaires au Qu�bec et ailleurs�.
Le refus de l'enracinement
Selon R�al Ouellet, trois si�cles d'histoire ont d�montr� que �l'identit� canadienne-fran�aise puis qu�b�coise se dit d'abord dans le couple nomadisme-s�dentarit�. En effet, notre litt�rature, prise au sens large, pullule de ces personnages qui refusent l'enracinement, du Fran�ois Paradis de Maria Chapdelaine � l'Alexis d'Un homme et son p�ch�. �D�s que la femme veut s'attacher, l'homme repart�.
Cette opposition nomadisme/s�dentarit�, constate R�al Ouellet, est d'ailleurs pr�sente d�s le d�but du XVIIe si�cle dans divers textes, alors que les administrateurs de la colonie d�plorent �cette ind�pendance d'esprit, rebelle � toute contrainte autoritaire�, qu'ils relient naturellement au nomadisme d'une bonne partie de la population masculine qui s'enfonce dans les bois pour aller chercher les fourrures des Indiens. �Nos Fran�ais s'ensauvagent�, disent-ils.
� partir de 1840 environ, moment o� on assiste � une forte migration des colons fran�ais vers la Nouvelle-Angleterre, �les notables vont vanter la s�dentarit� autour du clocher� et de concert avec les �lites en place, faire en sorte de fixer les Canadiens � la terre. Ainsi, le �roman de la terre�, qui durera jusqu'� la Seconde Guerre mondiale, �condamme les d�serteurs qui immigrent aux �tats-Unis et fait l'�loge dithyrambique de la culture du sol, qui seule assure le bonheur, la vertu, la richesse durable�.
La vie r�v�e est un roman
Selon R�al Ouellet, le premier de ces romans, la Terre paternelle, de Patrice Lacombe, exprime parfaitement cette id�ologie agriculturiste et conservatrice des �lites. Paru en 1846, il raconte l'histoire d'un p�re de famille qui, apr�s avoir donn� sa terre � son fils a�n�, la reprend quand celui-ci n'arrive pas � survivre du travail agricole. Incapable de redevenir cultivateur, le p�re se fait marchand et se ruine. Perdant sa terre, il tente sa chance � la ville mais tombe dans la mis�re. Le cadet, devenu coureur des bois, revient de voyage et rach�te la terre paternelle. S'apparentant � cette id�ologie selon laquelle le salut r�side dans culture de la terre, d'autres romans suivront, dont Charles Gu�rin (1853) de Chauveau et Jean Rivard (1862) de G�rin-Lajoie .
Dans la d�cennie 1935-1945, qui marque la fin du roman de la terre, plusieurs oeuvres mettent en relief le couple nomadisme-s�dentarit�, entre autres, Menaud ma�tre draveur (1937) et Le Survenant (1945). Si le protagoniste du roman de F�lix-Antoine Savard ne s'�panouit que dans le bois, le bel �tranger du Survenant, lui, est le descendant de ces coureurs des bois qui �savent tout faire, s�duident autant qu'ils choquent, mais ne peuvent jamais s'engager ni se poser longtemps au m�me endroit�. Tout le portrait d'Ovila!
REN�E LAROCHELLE
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