6 avril 1995 |
Id�es
la tentation s�paratiste
PAR JACQUES SAINT-PIERRE
PROFESSEUR TITULAIRE DE FINANCE
FACULT� DES SCIENCES DE L'ADMINISTRATION
�Il n'y a rien qui permette d'affirmer que le NON est n�gatif et colonis� ou que le OUI est une n�cessit� historique.�
Est-il r�aliste de ne pas succomber � la tentation s�paratiste? De r�pondre �non� � l'astucieuse question?
Disons, tout d'abord, que celui ou celle, qui croit que la trame politique ne serait pas fonci�rement modifi�e dans un Qu�bec souverain, peut tr�s bien arriver � la conclusion qu'il ou qu'elle devrait voter oui, comme � celle qu'il ou qu'elle devrait voter non, et cela, ind�pendamment de ses pr�f�rences pour les partis politiques.
En effet, dans toute analyse avantages-inconv�nients, m�me si la liste des �l�ments qualitatifs et quantitatifs dont il faut tenir compte re�oit l'assentiment de tous ceux et celles qui participent � la d�cision, ce seront les pond�rations, ou les valeurs, que chacun et chacune donneront aux composantes qui feront qu'il y aura des diff�rences d'opinions dans la d�cision � prendre. Cette proc�dure est celle que nous suivons tous, plus ou moins explicitement, lorsque nous avons des d�cisions � prendre comme l'achat d'une automobile ou d'une maison. C'est ce qui fait, d'ailleurs, que nous ne roulons pas tous dans une voiture de m�me marque, ni ne demeurons pas tous dans le m�me quartier.
Il n'y a donc rien qui permette d'affirmer que le �non� est �n�gatif et colonis� ou que le �oui� est une �n�cessit� historique�. La r�ponse d�pend des valeurs que nous attachons � la liste des avantages et des inconv�nients en tant qu'individus libres.
De la conjecture �conomique
Sur le plan de la conjecture �conomique, nul ne peut s�rieusement pr�tendre poss�der la v�rit�. Cela est d'autant vrai que nous traversons actuellement une p�riode de r�ajustement mondial des �quilibres �conomiques. Quand on a vu des Prix Nobel d'�conomie se fourvoyer, au sujet d'�v�nements dont les cons�quences �taient relativement simples � pr�voir, par opposition au pronostic �conomique qui nous occupe en ce moment, on peut raisonnablement douter, sans �tre irrespectueux, des diseurs de bonnes conjectures qui se font entendre dans le camps du �oui�, et qui sont loin d'�tre des Prix Nobel!
De la perte des libert�s
La complexit� de la situation ne s'arr�te pas l�. En effet, nous avons suppos�, plus haut, que dans un Qu�bec ind�pendant, la texture politique demeurerait inchang�e. Or, rien n'est plus improbable. Tout concourt � donner du poids � l'hypoth�se qu'un virage collectiviste tr�s prononc� pourrait se produire. D'ailleurs, les gestes pos�s par les p�quistes depuis qu'ils sont au pouvoir en sont un avant-go�t. C'est cette possibilit�, qui va de pair avec la perte des libert�s, qui vient bouleverser les pond�rations de l'analyse avantages-inconv�nients. Il est fort regrettable et dangereux que ne soit pas donn�e plus d'attention � cette �ventualit�.
Au Qu�bec, le terrain est propice � ce totalitarisme: une population na�ve sur le plan �conomique, qui ne consid�re par le pouvoir �tatique comme une menace pour son avenir et, qui plus est, aime voir augmenter le r�le de l'�tat dans l'�conomie. Si on ajoute � cela un syndicalisme dont, bien souvent, la recherche de la m�diocrit� est la ligne de pens�e, nous obtenons de tr�s bonnes conditions initiales pour faire tomber une population dans le n�ant.
De la diversification
Le risque politique, lorsqu'on ne peut l'�liminer, il faut le diversifier. Et c'est justement ce que nous permet de faire le f�d�ralisme canadien, m�me avec toutes ses imperfections et ses contraintes. Entre �l'oppression� f�d�raliste et l'oppression totalitaire, on peut pr�f�rer la premi�re.
On peut associer � la notion de diversification du risque politique, par l'appartenance � l'ensemble canadien, ce qu'on pourrait appeler �la deuxi�me loi de la thermodynamique sociale�. Cette loi affirme que les syst�mes sociaux �ferm�s� ont tendance � s'an�mier dans une ignorance et une d�sorganisation croissantes. Ce qui repr�sente une sorte d'augmentation de l'entropie sociale. � ceux et celles qui voudraient r�fl�chir � cette hypoth�se, je sugg�re de m�diter ces propos d'Engels: �Ceux qui se flattent d'avoir fait une r�volution ont d� toujours s'apercevoir le lendemain qu'ils s'�taient nullement rendu compte de ce qu'ils faisaient, que la r�volution en question ne correspondait pas le moins du monde � leur attente�.
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