6 avril 1995 |
RECHERCHE
DANS L'ESPACE-TEMPS
Au confluent de plusieurs disciplines, la g�ographie historique se pratique �sur le terrain�. Elle permet une lecture nouvelle du d�veloppement des soci�t�s, notamment celle du Qu�bec.
Historien et g�ographe de formation, Serge Courville a d�cid� de ne pas choisir entre ses deux amours, mais au contraire de se lancer dans une nouvelle discipline en �mergence dans les ann�es 70 au Qu�bec, la g�ographie historique. Apr�s quinze ans d'enseignement et d'encadrement assidu d'�tudiants, il vient de signer le premier manuel sur cette mati�re, en s'inspirant des ouvrages de r�f�rence qui, dans les ann�es 50, l'introduisaient � l'�tude de la sociologie, de la d�mographie ou de l'histoire. En consacrant une partie de son livre, Introduction � la g�ographie historique ( PUL ) � des d�finitions �pist�mologiques, et l'autre � des cas pratiques, le directeur du Laboratoire de g�ographie historique de l'Universit� Laval a voulu fournir aux �tudiants un outil de base qui alimente leur r�flexion.
�Au Qu�bec, la g�ographie historique dialogue constamment avec l'histoire, contrairement � d'autres pays o� les chercheurs travaillent moins avec les historiens, explique le professeur. En fait, c'est une science analytique qui permet de comprendre comment les soci�t�s ont occup� l'espace dans le temps.� V�ritable carrefour au confluent de plusieurs disciplines, cette mati�re offre l'avantage de situer certaines donn�es dans leur contexte. Ainsi, en mettant en �vidence le nom des propri�taires terriens d'un village sur une carte, le chercheur peut se faire une id�e des alliances familiales et de la mani�re dont les grandes familles contr�laient un bout de pays. Ou encore, l'�tude des recensements qui comptabilisaient les productions des agriculteurs renseigne parfois les g�ographes-historiens sur le type de contr�le exerc� sur l'agriculture. Certains recenseurs avaient tendance, en effet, � confondre all�grement les unit�s de mesure en additionnant des barils avec des livres. Ils en concluaient ensuite que les performances des agriculteurs francophones ne rivalisaient pas avec celle des anglophones.
L'Atlas historique du Qu�bec
Au fil des ans, les g�ographes-historiens ont donc appris � prendre les sources, qu'il s'agisse du cadastre, des recensements, des plans, des r�cits ou m�me des estampes, avec un grain de sel. Lorsque ses �tudiants commencent une recherche, Serge Courville les incite toujours � partir sur le terrain pour confronter leurs impressions, l'environnement physique, les acteurs en pr�sence � l'�poque et le contexte social et historique. Cette m�thode originale de recherche se met au service actuellement du projet d'Atlas historique du Qu�bec qui mobilise les chercheurs du Centre interuniversitaire d'�tudes qu�b�coises, un centre associant l'Universit� Laval et l'Universit� du Qu�bec � Trois-Rivi�res.
Ensemble, les chercheurs tentent de construire des banques informatis�es de fonds de carte, des chronologies sp�cialis�es, des r�pertoires documentaires, afin de publier dans une collection particuli�re une s�rie d'ouvrages th�matiques, consacr�s � un aspect particulier de l'histoire qu�b�coise. Il s'agit en fait de comprendre comment la soci�t� qu�b�coise a occup� l'espace depuis la colonisation fran�aise jusqu'� nos jours. Les ouvrages, publi�s par les Presses de l'Universit� Laval, comporteront donc une partie �crite, mais �galement des graphiques, des cartes, des textes, des illustrations anciennes, des s�ries de planches � la fin de chaque chapitre. Cette section pourrait d'ailleurs �tre utilis�e sur CD-ROM par d'autres chercheurs, ou nourrir une �dition plus didactique destin�e aux enseignants pr�-universitaires ou au grand public.
La mise en perspective de nombreuses donn�es a permis de jeter un regard neuf sur certains mythes. Ainsi, en examinant attentivement les mouvements de population et la densit� des habitants sur les premiers territoires conquis, les chercheurs ont constat� que la pression d�mographique dans la Vall�e du Saint-Laurent au 19� si�cle n'avait peut-�tre pas l'importance qu'on lui attribue habituellement. Tandis que certains partaient � la conqu�te des pays neufs, d'autres se regroupaient dans des villages ou de petits centres urbains. D'autre part, la confrontation de diverses sources historiques sur l'agriculture, le commerce, l'artisanat, va � l'encontre de la traditionnelle image d'un Qu�bec repli� sur sa terre et ferm� aux �changes. Au contraire, le portrait esquiss� permet d'appr�hender une �conomie de march� en mouvement, o� des fermiers � la t�te de troupeaux de 200 vaches cohabitent avec des agriculteurs propri�taires d'une ou deux b�tes.
PASCALE GU�RICOLAS