27 avril 1995 |
M. B�rard et les r�gions
Le pr�sident de la Banque Nationale, M. Andr� B�rard, semble conna�tre beaucoup de �trucs� pour d�centraliser le pouvoir au Canada. Il se dit favorable � la comp�tition entre les r�gions quitte �... en fermer quelques unes! Mais pour qui se prend-t-il?
Il me semble tr�s inopportun qu'un capitaliste aussi r�solu tienne des propos aussi condescendants par rapport aux r�gions les moins performantes au plan de l'�conomie. Il est clair qu'il croit que certaines r�gions sont �de trop� dans notre soci�t�. Il faudrait rappeler � M. B�rard que la libert�, c'est aussi le droit d'habiter et de travailler o� on l'a choisi. L'attrait du b�ton ne dure souvent qu'un temps. Ces r�gions que M. B�rard ne consid�re pas �conomiquement performantes ont cependant un cachet unique que les capitalistes ronflants n'ont pas encore d� avoir le temps de d�couvrir. Parmi ces cachets notons la tranquilit� d'esprit, l'�veil � la nature, la communion avec le plein air et les espaces vierges d'une beaut� saisissante.
Une question s'impose � M. B�rard: �Est-ce que parmi les crit�res qui qualifient la qualit� de vie d'une r�gion on devrait toujours retrouver en t�te la performance �conomique?�. La r�ponse est, � mon sens, un �non� cat�gorique. Pr�cisons que la d�centralisation agit telle une force surprenante puisqu'elle donne aux intervenants de la base un contr�le essentiel sur leur destin�e et celle de leur environnement. Individuellement ou collectivement, tout le monde gagne lorsqu'il est question de d�centralisation, m�me les r�gions que M. B�rard aimerait voir fermer. Ceci dit, M. B�rard, vous avez un peu raison mais beaucoup tort.
Claude G�linas
St-Augustin
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LE SYST�ME SCOLAIRE ET LES JEUNES GAR�ONS
Madame Annette Paquot rappelle dans sa derni�re lettre, publi�e dans le Fil du 6 avril 1995, que l'on n'a pas encore r�agi au th�me de son article, � savoir �la fa�on dont notre syst�me scolaire traite les jeunes gar�ons�. Je t�cherai donc de le faire � partir de ma recherche portant sur l'abandon scolaire au secondaire et la socialisation selon le sexe (CRSH 1993-1996).
Disons tout d'abord que la formulation de la question telle qu'elle est pr�sent�e par Annette Paquot est probl�matique; en effet, elle postule que la d�perdition scolaire des gar�ons est caus�e par la fa�on dont le syst�me scolaire les �traite�. Nous allons reprendre la question, ou les questions, afin de pouvoir donner des �l�ments de r�ponse � un ph�nom�ne social fort complexe. En effet, l'abandon des �tudes, � n'importe quel niveau que ce soit, doit �tre vu comme un processus et non comme la r�sultante d'une d�cision spontan�e ou d'un �traitement�.
Plusieurs facteurs interreli�s interviennent dans la �d�cision� d'abandonner les �tudes : les r�sultats scolaires, les probl�mes comportementaux, le support des parents, le d�sir de travailler, le milieu socio-�conomique d'appartenance, la taille de la famille, la r�gion g�ographique, la culture de groupe et de sous -groupe, le sexe. Aucun facteur ne saurait � lui seul expliquer le processus qui m�ne � l'abandon scolaire. Il est maintenant bien �tabli que, au Qu�bec et dans les autres pays industrialis�s, les probabilit�s d'abandon scolaire, avant l'obtention du dipl�me d'�tudes secondaires, sont plus �lev�es chez les gar�ons que chez les filles (38,2 % des gar�ons et 25,9 % des filles selon le MEQ, 1993), chez les jeunes des milieux d�favoris�s que dans les autres milieux (2,2 fois plus selon Statistiques Canada cit� dans CEQ, 1991), chez les jeunes des r�gions p�riph�riques que chez ceux des grands centres (MEQ, 1993; Veillette et al., 1993), chez les jeunes qui ont des probl�mes de comportements, des retards et des �checs scolaires, ce dernier point constituant d'ailleurs pour le minist�re de l'�ducation un pr�dicteur s�rieux de probabilit� d'abandon des �tudes.
Il est donc hasardeux d'affirmer que l'un de ces facteurs soit d�terminant. Ici encore, il est question d'approches et l'int�r�t scientifique est grand pour cette probl�matique sociale complexe. Comment comprendre les �carts de r�ussite scolaire entre gar�ons et filles? Comment expliquer la plus grande performance et pers�v�rance scolaires des filles dans le syst�me scolaire qu�b�cois? Qu'est-ce qui permet de comprendre pourquoi plus de gar�ons que de filles abandonnent les �tudes ou vivent des situations d'�checs scolaires? Quel est le profil scolaire et social des �d�crocheurs� et �d�crocheuses�?
Si nous nous int�ressions davantage au groupe des gar�ons, nous pourrions nous demander : qu'est-ce qui explique que plus de gar�ons des milieux d�favoris�s et des r�gions p�riph�riques abandonnent l'�cole? ou encore, pourquoi traduisent-ils leur d�sint�r�t pour l'�cole par une distanciation progressive de la culture scolaire?
Plusieurs �l�ments de r�ponse ont d�j� �t� apport�s � ces questions en sociologie de l'�ducation et en psychologie sociale. L'�chec scolaire a �t� �tudi� en profondeur, et ce depuis plusieurs ann�es, du point de vue de l'acteur social ou de l'actrice sociale, du point de vue de la reproduction des in�galit�s sociales de m�me que de celui de l'inadaptation scolaire. En ce sens, la probl�matique de l'abandon scolaire des gar�ons des couches populaires de m�me que leur pr�sence en moins grand nombre dans les maisons d'enseignement sup�rieur n'est pas nouvelle m�me si elle est aussi pr�occupante. Dans une perspective socio-historique, ce qui est nouveau, c'est l'accession des filles � l'�ducation sup�rieure, et par voie de cons�quence, la possibilit� de comparer leurs profils scolaires � ceux des gar�ons ou vice-versa.
D'ailleurs, il est int�ressant de savoir qu'en France, o� le ph�nom�ne est semblable, ce sont les succ�s scolaires des filles qui retiennent l'attention des sociologues et des milieux de l'�ducation. Au Qu�bec, il est tr�s difficile de savoir si la meilleure performance scolaire des filles est un ph�nom�ne contemporain car nous n'avons pas les �l�ments pour �tablir ce type de comparaison dans le pass� lorsque les filles �taient tr�s peu pr�sentes dans l'ensemble du syst�me scolaire et n'avaient pas acc�s aux m�mes fili�res que les gar�ons. Peut- �tre y auraient-elles pr�sent� le m�me type de trajectoires, comme le pr�tendent certaines et certains, mais nous ne le savons pas. Quoi qu'il en soit, la th�orie des �vases communiquants� appliqu�e � cette probl�matique, comme dit le sociologue Antoine Baby, est inad�quate car elle laisse supposer que l'�chec scolaire des uns est en quelque sorte fonction du succ�s des autres alors qu'il est plut�t, simplement, mis en relief par le succ�s des autres. S'il n'y avait pas de filles � l'Universit�, on ne pourrait pas calculer de pourcentage, il n'y aurait pas de point de comparaison pour affirmer qu'il y a trop ou pas assez de gar�ons � l'Universit�...
Sans doute l'essor des scolarit�s f�minines am�ne-t-il de nouvelles perspectives face � la situation de d�perdition scolaire des enfants des milieux d�favoris�s. Il met en �vidence le fait que ces enfants sont davantage des gar�ons que des filles alors qu'avant le facteur �sexe� n'�tait pas invoqu�.
Voyons-y de plus pr�s. La poursuite des �tudes coll�giales et universitaires suppose la r�ussite scolaire (la diplomation) aux niveaux d'enseignement ant�rieurs. Il semble que plus les facteurs d'abandon sont agissants plus les gar�ons y sont sensibles. Pour vraiment saisir comment le d�crochage affecte davantage les gar�ons et la client�le des classes sp�ciales, majoritairement masculine, il faut comprendre comment joue le processus de construction de l'identit� psycho-sexuelle et sociale en tenant compte des milieux socio-�conomiques d'appartenance.
Il faut voir qu'il y a parfois inad�quation entre les exigences traditionnelles de la repr�sentation de la �masculinit� et celles de la r�ussite scolaire. La socialisation masculine conduit certains gar�ons � devenir des �fauteurs de troubles� (OCDE, 1986), � d�fier l'autorit� des professeurs ou � ne pas respecter les normes scolaires; cela procure m�me du statut au sein du groupe de pairs. Une recherche r�cente montre que les gar�ons acqui�rent de la popularit� dans leur groupe de pairs du m�me sexe en �cultivant une attitude provocante envers l'autorit� adulte, en d�fiant les r�glements en vigueur et en se faisant punir� (Adler, Kless et Adler, 1992). Cette �tude montre �galement que les gar�ons des milieux ais�s dosent plus habilement ces comportements d'inconduite en s'assurant d'obtenir des r�sultats scolaires acceptables.
Ces r�sultats de recherche se confirment dans l'enqu�te en cours et dans les entrevues avec les jeunes. La culture dans laquelle se construit l'identit� psycho-sexuelle et sociale des gar�ons m�ne certains d'entre eux � l'acceptation de faibles r�sultats scolaires et � une certaine nonchalance face aux �tudes et m�me � se faire une gloire des �checs et � �tre g�n�s des bonnes notes. Pour un bon nombre de gar�ons et tout particuli�rement pour ceux des milieux d�favoris�s, s'ils n'ont pas r�ussi � se distinguer � l'�cole, ils choisissent de se rassurer (ainsi que leur entourage) sur le fait qu'ils sont capables de satisfaire aux normes de la virilit� et �r�ussir� sur un autre registre que celui de l'�cole (OCDE, 1986). Ils s'orientent vers les sports de comp�tition, activit� virile encourag�e et valoris�e, ou encore ils abandonnent l'�cole pour se chercher du travail ou deviennent des �enfants de la rue� ou des jeunes d�linquants. Le d�nominateur commun � ces diff�rentes �tudes et les pistes d'intervention qu'elles indiquent nous am�nent aux effets limitatifs des st�r�otypes sexuels, c'est-�-dire aux mod�les exemplaires de comportement social jug�s appropri�s � son sexe selon les classes sociales. Certains gar�ons ne d�veloppent pas les acquis n�cessaires � un cheminement scolaire harmonieux et les mod�les que leur offrent les m�dias ne les y encouragent pas. Plus que la fa�on dont le syst�me scolaire traite les gar�ons, c'est la fa�on dont les traite le syst�me extra- scolaire qui inqui�te.
La socialisation familiale et sociale est ainsi remise en question par la contre-performance de certains gar�ons et ses effets sur leur r�ussite scolaire, �ducative, sociale et humaine. Si l'adh�sion aux st�r�otypes sexuels continue d'�tre accept�e, elle place cependant ces gar�ons face aux limites de leurs mod�les sexuels traditionnels.
O� sont donc les fr�res des �tudiantes de premier cycle? Nous l'avons indiqu�, une partie est d�j� sur le march� du travail par choix o� il continue d'�tre plus facile pour les gar�ons que pour les filles (� parit� de dipl�me) de trouver un emploi (Factuelle, 1995) D'autres sont peut-�tre bless�s suite aux accidents dont ils ont �t� �victimes�, d'autres encore sont � l'�tranger, dans la rue, en centre d'accueil... En conclusion, il est � esp�rer que les associations et groupes de personnes int�ress�es par l'�ducation mettront sur pied de nombreux programmes pour briser les st�r�otypes sexuels et amener aussi les gar�ons des milieux d�favoris�s vers la r�ussite �ducative et la poursuite des �tudes sup�rieures. Pour cela, il faut reprendre le d�bat sur les in�galit�s sociales et sexuelles et le r�le qu'y jouent les institutions de socialisation. Il faut cr�er les conditions sociales, politiques et �conomiques pour que ces acteurs sociaux et ces actrices sociales puissent porter sur la place publique des revendications � l'�galit�, � la d�mocratie, au pacifisme et � l'humanisme. Ces valeurs profiteraient non seulement aux deux sexes mais aussi � une soci�t� qui se construit de plus en plus sur le mode de l'exclusion (aussi pour l'insertion socio- professionnelle des filles) et ram�ne le principe de la s�gr�gation avec la non-mixit� scolaire.
Pierrette Bouchard
Professeure � la Facult� des sciences de l'�ducation
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BURUNDI: UNE ARM�E CONTRE L'ESPOIR
Depuis l'av�nement du processus de d�mocratisation qui a d�bouch� � des �lections libres en 1993, le peuple burundais esp�rait enterrer les conflits ethnopolitiques qui ensanglantent r�guli�rement le Burundi depuis son accession � l'ind�pendance politique en 1962, et enfin, faire la croix sur la domination de caste.
En effet, la victoire �crasante du peuple burundais lors des �lections pr�sidentielles (juin 1993) et l�gislatives (juillet de la m�me ann�e) qui a �t� bien accueillie partout dans le monde, a dangereusement choqu� les enfants de la pi�tre noblesse de la caste tutsie qui r�ussit par une politique d'ali�nation, � r�gner sur 86 % de la population burundaise depuis environ quatre si�cles. Qui sont-ils effectivement? Ce sont essentiellement des hommes en kaki qui rendent op�rationnelle la domination de caste et paralysent encore aujourd'hui les institutions d�mocratiques et pourchassent �prement la population burundaise pour restaurer un mythe dangereux: forcer le retour � l'ordre ancien.
Mon propos n'est pas de r�pertorier tous les maux perp�tr�s par cette arm�e form�e originairement pour maintenir esclave 86 % de la population burundaise, mais pour �laborer des m�canismes par lesquels les burundais tous ensembles peuvent faire table rase des conflits inter-ethniques et construire une soci�t� vivable et anthropocentrique.
Il y a d'abord un fait de base pour comprendre le probl�me burundais qui est de plus en plus incontournable. Les actes ignobles auxquels l'arm�e s'applique farouchement ont eu un effet sur la population toute enti�re. Comme le chol�ra, l'oppression militaire s'est progressivement inscrite dans une logique �pid�mique qui fait qu'aujourd'hui, toute la population est contamin�e. Les m�dias nous rapportent r�guli�rement des images d�gradantes pour tout �tre humain, lorsque l'on voit des enfants, des femmes et des hommes, machettes dans les mains, pr�ts � faire face � l'arm�e et � ses alli�s civils. Ceci est un fait qui m'appara�t intol�rable et doit �tre rapidement r�solu pour sauver tout un peuple qui se meurt au su et au vu de tout le monde.
Pour qu'un minimun d'espoir puisse se cultiver et survivre au Burundi, la communaut� internationale se doit de prendre la situation en mains et amorcer des d�marches concr�tes visant l'�radication du probl�me afin de sortir le peuple burundais de l'angoisse devenue chronique. � ce sujet, j'invite la communaut� internationale � souscrire aux recommandations des Experts du Parlement Europ�en dans un rapport adress� au Secr�taire G�n�ral de la Mission pr�paratoire charg�e d'�tablir les faits au Burundi du 20 mai 1994 qui croient qu'il faut �(..) �tablir les coupables des massacres et des tueries, d�sarmer les milices qui s�ment la terreur � Bujumbura et � l'int�rieur du pays, stimuler un retour rapide des r�fugi�s, r�former urgemment l'arm�e nationale et toutes les institutions militaires en essayant de les mettre sous l'autorit� civile, ainsi que la reconstruction d'infrastructures �conomiques et administratives n�cessaires pour une reprise de l'activit� sociale et productive dans le pays�.
Pour ma part, je consid�re il y a lieu d'agencer les �l�ments de cette recommandation pour des raisons psycho-sociologiques. Puisque la population tente de faire face � une arm�e, arm�e contre elle, la communaut� internationale doit prioritairement d�manteler cette arm�e qui constitue le noeud qui explique tous les autres probl�mes du Burundi, aussi bien les probl�mes d'absence de d�mocratie durable que les probl�mes d'absence de stabilit� politique interne. Je pense que si on ne s'attelle pas � r�soudre ce probl�me particuli�rement grave dans la formation d'une arm�e nationale en tenant compte des composantes ethniques du Burundi, on ne r�soudra rien. Les faits sont r�v�lateurs:
l'arm�e est la source de la d�mence meurtri�re dans laquelle la population burundaise est cycliquement tremp�e.
Faut-il encore rappeler qu'il n'est jamais trop tard? Et que la volont� du peuple doit primer sur les int�r�ts d'une poign�e de bourreaux? Le peuble burundais, en choisissant un syst�me d�mocratique, avait eu l'intuition pour juguler le meurtre perp�tr� contre l'humanit�. Le cri d'alarme est lanc� � tout individu �pris de paix, de justice et de dignit� humaine dans son premier droit inali�nable et ind�fectible, faire �chec aux ennemis de l'espoir...
Adelin Ntrirandekura
�tudiant � la ma�trise en science politique
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