27 avril 1995 |
Id�es
SAUVONS LES MEUBLES
PAR ROBIN ARGUIN
�TUDIANT DU D�PARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE
�D�sirez-vous que le Qu�bec devienne souverain dans les domaines essentiels que sont pour lui la formation de la main-d'oeuvre, la langue et les t�l�communications?�
La philosophie orientale a toujours accord� beaucoup d'importance et de bonheur � la facult� de savoir tirer le bien du mal, faire du positif avec du n�gatif. En politique, l'application de cette th�orie pourrait consister � transformer un d�savantage en avantage, ou � tout le moins, sauver les meubles, nous dirait aujourd'hui Machiavel...
Comment appliquer ces pr�ceptes � la situation politique au Qu�bec? Comment sauver les meubles de ce cul-de-sac dans lequel le Parti Qu�b�cois nous a obstin�ment plac�?
Pendant des mois et des mois, Parizeau et cie se sont engag�s publiquement, envers et contre toute logique strat�gique et bon sens, � tenir un r�f�rendum dans un d�lai de huit � dix mois, soit de mai � juillet. Maintenant qu'ils sont confront�s � l'�ch�ance de leur b�tise, ils n'ont d'autres choix que de revenir sur leur parole et reporter la consultation populaire � l'automne. Ce n'est qu'un sursis, comme celui qu'obtient un condamn� � mort, sachant bien que seul un miracle pourra le sauver.
S'il ne s'agissait que du sort du PQ, je dirais - � l'instar de ce que Lucien Bouchard disait tout r�cemment - un r�f�rendum au plus sacrant. Que les p�quistes r�coltent ce qu'ils ont sem�. Mais il y a beaucoup plus. Il y a les int�r�ts du Qu�bec dans son ensemble et son poids politique � Ottawa. Id�alement, la notion de rapport de force ne devrait pas �tre au coeur d'une f�d�ration. Malheureusement, la f�d�ration canadienne repose �norm�ment sur cette dynamique. Peut-on �viter que le rapport de force du Qu�bec au sein du Canada soit de nouveau consid�rablement affaiblit?
Quelles sont les options du gouvernement qu�b�cois? Continuer de reporter le r�f�rendum, d'entretenir les doutes et ainsi de suite, n'est pas dans les int�r�ts du Qu�bec. Il y a du vrai dans le fait que les investissements et la situation �conomique dans son ensemble sont affect�s par cet attentisme. Au niveau politique m�me, le gouvernement Parizeau fait surtout du sur- place depuis plus de six mois. Son bilan est tr�s pauvre. Beaucoup d'�nergies, de temps et d'argent ont �t� d�pens�s jusqu'ici, dans l'espoir de mettre du vent dans les voiles souverainistes, sans trop de r�sultats.
Il nous faut un gouvernement qui gouverne vraiment - qu'on regarde seulement ce que r�alisent certaines autres provinces - et cette vitesse au ralenti ne peut se prolonger au-del� de l'automne.
Autre option, le gouvernement peut reporter sine die le r�f�rendum et en faire une �lection r�f�rendaire au terme de son mandat. C'est peut-�tre mieux comme solution, mais le Parti Qu�b�cois, donc le gouvernement du Qu�bec, perd toute cr�dibilit�, tant au Canada qu'� l'�tranger. Sa parole et ses engagements ne veulent plus rien dire. La question du statu quo constitutionnel n'avance pas du tout, au contraire, et dans l'ensemble, le rapport de force du Qu�bec est affaibli.
Autre option, respecter ses engagements, livrer la marchandise, enfin faire parler "le peuple", et donc tenir le r�f�rendum cet automne, avec la question actuelle ou une similaire. R�sultat, beaucoup de choses sont clarifi�es, mais l'option souverainiste est fortement battue et ce cher rapport de force du Qu�bec, si important dans cette f�d�ration canadienne aux vues laminaires, est fortement affaibli. On se retrouve dans une situation pire que celle du d�part.
Cette solution a des avantages, mais dans l'ensemble, au niveau de l'int�r�t global du Qu�bec comme entit� politique essayant d'am�liorer sa position sur l'�chiquier nord-am�ricain, c'est la pire. Particuli�rement eu �gard aux forces centrifuges de d�sint�gration sociale de l'�conomie mondialis�e, auxquelles il faut se pr�parer.
Cette solution d'un r�f�rendum � l'automne, dans sa forme actuelle, appara�t peut-�tre comme la plus probable, la seule envisageable, mais c'est aussi celle ayant le moins de chance de se r�aliser. Au moment d'�crire ces lignes, au lendemain du premier grand congr�s du Bloc Qu�b�cois, il appara�t de plus en plus clair que M. Bouchard va saborder le bateau souverainiste plut�t que de participer � son naufrage.
Il reste donc les deux premi�res solutions, report ind�fini ou plus ou moins d�fini, avec leurs cons�quences n�gatives � plus d'un point de vue. Il existe toutefois une quatri�me solution, qui permettrait peut-�tre de sauver les meubles, comme mentionn� en d�but de texte. Un proc�d� aux cons�quences moins n�gatives, pouvant m�me transformer un d�savantage certain en un certain avantage.
Il s'agit de tenir le r�f�rendum cet automne, de livrer la marchandise, mais sans affaiblir le Qu�bec. Comment r�ussir ce tour de force? Il ne s'agit certes pas de r�ver � une majorit� de OUI � la question actuelle. Il y a des limites � se mettre la t�te dans le sable. Il faut transformer substantiellement la question pour que le r�sultat am�liore notre rapport de force.
En partant de trois quasi absolues: 1- la majorit� des Qu�b�cois ne veulent pas d'un statu quo o� le Qu�bec n'a plus vraiment les moyens d'affirmer sa place particuli�re
sur l'�chiquier nord-am�ricain. 2- la majorit� des Qu�b�cois ne veulent pas de l'ind�pendance, ni de pr�s ni de loin. 3- entre ces deux extr�mes, ils choisiront � contre-coeur celle du statu quo. Il faut donc utiliser le r�f�rendum tant promis pour faire un pas dans la direction de modifier ce statu quo, sans forcer les gens � la seconde option qui affaiblirait davantage le Qu�bec.
Et si la question pos�e au r�f�rendum �tait quelque chose du genre: "D�sirez-vous que le Qu�bec devienne souverain dans les domaines essentiels que sont pour lui la formation de la main- d'oeuvre, la langue et les t�l�communications?" (Il ne s'agit bien s�r que d'un exemple.)
On est bien loin de l'ind�pendance pure, diront les uns, mais c'est mieux que d'aller � l'abattoir. Si, comme on peut le pr�voir, environ deux Qu�b�cois sur trois r�pondent OUI � une telle question, on a transform� un d�savantage certain en un certain avantage. Le rapport de force n'est pas de beaucoup diminu�, mais au contraire renforc�, puisque le gouvernement qu�b�cois poss�de un mandat populaire des plus solides et l�gitimes appuyant sa lutte pour plus de pouvoir.
Je sais bien que ce n'est pas cela qui modifie une constitution, mais c'est une fa�on fort adroite de se sortir positivement du cul-de-sac dans lequel Parizeau et cie nous ont plac�s. Le PQ respecte sa promesse solennelle d'un r�f�rendum sur la souverainet� -mais pas la souverainet� sur tout, l'�conomie et le gouvernement se remettent enfin en branle, les options sont toujours ouvertes, et le F�d�ral a beaucoup plus de pression pour n�gocier ou faire bouger les choses. D'autres provinces pourraient elles aussi consid�rer
ces questions.
Ainsi, le besoin �ventuel d'un r�am�nagement de la f�d�ration vers une v�ritable conf�d�ration, beaucoup mieux adapt�e aux nouveaux d�fis pos�s par l'�conomie mondialis�e et � la position unique et vuln�rable du Qu�bec en Am�rique du Nord, deviendrait peut-�tre enfin la question cruciale de l'agenda politique canadien, et non plus l'�ternelle s�cession du Qu�bec.
Car cette derni�re � l'effet de paralyser la dynamique f�d�rale en braquant le reste du Canada contre le Qu�bec. Alors que le vrai rapport de force devrait �tre plut�t entre la majorit� des provinces et le F�d�ral.
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