15 d�cembre 1994 |
FAUNE
Les caribous entre l'�quilibre et le chaos
Le P�re No�l n'aura que l'embarras du choix s'il recrute son attelage parmi les centaines de milliers de caribous de la rivi�re George mais il devra cependant avoir l'oeil alerte car la condition physique d'une bonne partie des b�tes serait � la baisse en raison du trop grand nombre de convives panach�s qui se partagent maintenant l'assiette v�g�tale offerte par la toundra qu�b�coise.
Selon une �tude men�e par des chercheurs du D�partement de biologie et du minist�re de l'Environnement et de la Faune (MEF) rattach�s au Centre d'�tudes nordiques, et dont les r�sultats ont �t� pr�sent�s le 2 d�cembre lors du Colloque annuel de ce centre, le troupeau de la rivi�re George compterait maintenant 800 000 b�tes, ce qui en fait le plus grand troupeau sauvage de caribous au monde. On se rappellera que, apr�s �tre demeur�s relativement bas pendant la premi�re moiti� du si�cle, les effectifs de ce troupeau ont connu un boom fulgurant dans les ann�es 1960 et 1970 et que, depuis 1987, ils ont oscill� entre 700 000 � 800 000 caribous. Consid�rant le grand nombre de b�tes et les dommages qu'elles causent � leur habitat, plus d'un biologiste a pr�dit un crash spectaculaire de ce troupeau.
D�clin appr�hend�
Sept ans plus tard, le crash n'est toujours pas survenu mais plusieurs indices portent � croire qu'un d�clin est imminent. Les travaux des biologistes Michel Cr�te, professeur associ� et biologiste au MEF, des professeurs Jean Huot et Serge Payette, et des �tudiants-chercheurs Micheline Manseau, Claude Morneau, Brigitte Toupin et Catherine Filion, laissent entrevoir plusieurs signes d'essoufflement du troupeau. Leur �tude, entreprise en 1991, porte sur l'habitat estival des caribous de la rivi�re George parce que, explique Michel Cr�te, ce qui se passe sur ce territoire agit comme goulot pour la population. En effet, au d�but juin, les caribous arrivent � leur habitat estival, un territoire de 40 000 kilom�tres carr�s aussi grand que la Suisse, et les jeunes naissent une � deux semaines plus tard. La p�riode qui suit est cruciale pour la survie des petits ainsi que pour les m�res qui puisent dans leurs r�serves nutritives pour produire du lait. � la fin juillet, le troupeau quitte l'habitat estival pour poursuivre sa migration.
Biomasse en diminution
Les donn�es recueillies par les chercheurs indiquent que les caribous ont profond�ment modifi� leur habitat d'�t� par le broutage r�p�t� et le pi�tinement de la v�g�tation, en particulier des lichens et des bouleaux glanduleux, leurs aliments pr�f�r�es. Au cours des derni�res ann�es, la biomasse de lichens et de feuilles de bouleaux aurait diminu� de 90% et 50 % respectivement. Les chercheurs ont �galement d�couvert qu'� la fin du premier mois d'allaitement, les r�serves de graisses des m�res �taient �puis�es alors que dans l'autre grand troupeau du Qu�bec, celui de la Rivi�re-aux-feuilles, ces r�serves se maintiennent entre 5 et 10% du poids corporel. �Comme les femelles de la rivi�re George quittent l'habitat estival en mauvaises conditions physiques, leur survie est menac�e si la nourriture est difficilement accessible pendant l'hiver, souligne Michel Cr�te. Il semble cependant que la d�gradation de l'habitat estival soit stabilis�e et qu'un �quilibre se soit �tabli entre la population actuelle de caribous et la disponibilit� de la nourriture.�
Une population � risques
Malgr� ce nouvel �quilibre, les inventaires des derni�res ann�es montrent une l�g�re hausse de la mortalit� des adultes et des taux de f�condit� en dents de scie. �� court terme, il faut donc s'attendre � une diminution progressive du troupeau, pr�dit Michel Cr�te. Des simulations sur ordinateur montrent que la population s'effondrerait rapidement si les loups r�pondaient num�riquement � l'abondance actuelle des caribous ou si la disponibilit� des lichens en hiver diminuait � cause de la comp�tition avec le troupeau de la Rivi�re-aux-feuilles, un troupeau de 300 000 b�tes en pleine croissance dont l'habitat hivernal chevauche celui du troupeau de la rivi�re George.�
� moyen et � long terme, le r�chauffement climatique pourrait brouiller les cartes, estime le chercheur. Le r�chauffement provoquerait une augmentation des chutes de neige qui forcerait les caribous � creuser davantage pour atteindre les lichens. L'habitat hivernal pourrait alors remplacer l'habitat d'�t� comme principal facteur de r�gulation du troupeau de la rivi�re George. Alors, crashera ou crashera pas? Pour pr�dire avec exactitude ce qui va survenir au troupeau de la rivi�re George, ce n'est pas d'un ordinateur plus puissant dont auraient besoin les chercheurs mais bien, comme le conclut sagement Michel Cr�te, d'une boule de cristal.
JEAN HAMANN
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