Gel ou dégel?
Les droits de scolarité exigés au Québec sont les plus bas au Canada, mais la fréquentation des universités y demeure la plus faible au pays
Dans les universités canadiennes, des droits de scolarité peu élevés ne sont pas nécessairement associés à des taux de fréquentation élevés. C’est même l’inverse qui est vrai. En 2001, le Québec possédait ainsi le plus faible niveau de droits de scolarité en même temps qu’il détenait le pourcentage de fréquentation universitaire le plus bas au Canada, soit 20 %. Parallèlement, la Nouvelle-Écosse, dont les droits de scolarité étaient les plus hauts au pays, remportait la palme du taux de fréquentation: 33 %. Autre exemple: l’Ontario qui, au cours des dix dernières années, a connu une augmentation de 137 % de ses droits de scolarité, soit la plus importante augmentation au Canada, figurait en 2003 au troisième rang des provinces canadiennes quant à la fréquentation des études universitaires.
«L’incapacité de payer n’explique pas toujours les différences dans la fréquentation universitaire, a soutenu Norma Kozhaya, économiste à l’Institut économique de Montréal, lors d’un débat organisé par l’Association des étudiantes et des étudiants en sciences sociales (AÉSS) et l’Association des étudiants en sciences de l’administration (AESAL) sur le thème «Frais de scolarité: le dégel ou la gratuité?» «Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte comme les résultats scolaires au secondaire, le niveau d’éducation des parents, leurs attentes concernant l’éducation de leurs enfants et l’épargne accumulée pour les études de la part des étudiants ou de leurs enfants», a souligné l’économiste. Même si l’éducation supérieure était gratuite, les jeunes venant de milieux défavorisés et moins éduqués seraient moins enclins à faire des études supérieures. C’est un fait qu’il existe un lien entre le revenu des parents et la fréquentation de leurs enfants à l’université.»
Par ailleurs, Norma Kozhaya a indiqué que le dégel des droits de scolarité en 1991-1992 et leur augmentation de près du double au cours des deux années suivantes ne semblaient pas avoir affecté le taux de participation aux études universitaires au Québec. La fréquentation aux études universitaires avait même légèrement diminué depuis 1994, soit après que les frais aient de nouveau été gelés pour les étudiants résidant au Québec.
S’épanouir par l’éducation
Également invité à ce débat, Martin Petit, économiste à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) à Montréal, y est allé d’un tout autre son de cloche. Pour lui, il ne fait aucun doute que ces guerres de chiffres ne riment à rien et que la gratuité pure et simple devrait être instaurée progressivement dans les universités, ce qui donnerait à tout le monde la possibilité de choisir ou non de les fréquenter. «L’éducation ne constitue pas seulement une façon de s’intégrer au marché du travail, mais également une façon de s’épanouir, a affirmé Martin Petit. C’est un droit inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Au Québec, il y a 40 ans, le Rapport Parent a démocratisé l’éducation en clamant haut et fort qu’elle n’était pas réservée qu’aux personnes riches.» À son avis, le manque à gagner des universités découlant de la gratuité scolaire pourrait être assumé par l’entreprise privée, qui est d’ailleurs la première à bénéficier des découvertes effectuées dans les universités.
Lors de la période de questions ayant suivi le débat, beaucoup d’étudiants ont manifesté leur inquiétude face à un éventuel dégel. Dans un contexte où l’État tend de plus en plus au désengagement, n’y a-t-il pas un risque de «dérive» de la part du gouvernement? «On nous dit qu’on doit faire des enfants, qu’on doit économiser pour notre retraite et qu’on devra supporter une lourde charge fiscale due au vieillissement de la population, a dit une étudiante. Si en plus nous démarrons avec des dettes sur le dos, je ne suis pas sûre que les familles tiendront le coup.»
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