Anthropologie
Sois belle et magasine
«Les jeunes femmes estiment que la société leur en demande beaucoup et qu’elle s’avère, de ce fait, superficielle, puisque l’idéal qui leur proposé n’est qu’une image.»
«Les centres d’achat sont devenus nos églises. Alors, tu vas combler tes petits besoins personnels au lieu de faire autre chose pour la société. Tu vas occuper ton temps à acheter des trucs puis à te dire que tu le mérites bien, que tu as gagné ton argent pour ça et qu’il faut bien que tu le dépenses. C’est très narcissique comme truc. En fait, c’est le système dans lequel on vit qui veut qu’on consomme. Les grandes compagnies savent maintenant que ce sont les femmes qui achètent beaucoup, les jeunes femmes bien branchées qui travaillent…» (Sabia, 23 ans)
Des témoignages de ce genre, on en retrouve beaucoup dans le mémoire de maîtrise en anthropologie de Marie-Claude Bouchard. En fait, les 15 jeunes femmes de Québec âgées de 18 à 30 ans ayant participé à cette étude où elles étaient invitées à parler de leurs pratiques de consommation ont un point en commun: celui de ne pas être dupes de la société de consommation dans laquelle elles sont plongées jusqu’au cou et d’arriver quand même à garder la tête haute dans une société où règne un seul idéal féminin.
«Il existe une réelle tension entre les pressions sociales issues de l’idéologie de la consommation et ce qu’elle prescrit et le regard critique dont les jeunes femmes font preuve, d’autant plus qu’elles affirment avoir de la difficulté à allier leurs valeurs, leurs discours et leurs pratiques, souligne Marie-Claude Bouchard. Elles connaissent cette tension et n’en ignorent pas les causes. Par exemple, certaines jeunes femmes rejettent les fondements même de l’idéologie et les modes de vie orientés vers la consommation mais y participent tout de même. Mais ne nous méprenons pas, il est évident qu’on ne peut vivre aujourd’hui à Québec et au Québec en faisant abstraction du domaine de la consommation, sans avoir un mode de vie marginal et marginalisé.»
L’éternel retour
Encore et toujours, les jeunes femmes se voient par le regard des hommes. C’est l’éternel retour: si le chandail acheté au magasin ne plaît pas au conjoint, l’article court de grandes chances d’être rendu. Les jeunes femmes sont conscientes d’avoir une réputation de «fille à la mode» à garder, auprès de leurs amies certes, mais surtout à l’endroit du conjoint. Elles veulent continuer à séduire, à plaire, à se «régénérer» par le vêtement, comme le ferait une seconde peau. Par ailleurs, l’idée de ne pas s’imposer de suivre la mode est très présente dans leur discours. Tout en se sentant libres de choisir, elles sont conscientes d’être manipulées et savent très bien que tout est mis en œuvre pour les faire dépenser encore et encore. Le désir de se distinguer (mais pas trop) et d’avoir son propre style se traduit par la consommation de vêtements et d’articles de mode originaux. Bref, les jeunes femmes veulent se distinguer en se conformant et se conformer en se distinguant.
Par ailleurs, tout en sachant très bien que l’idéal féminin occidental «minceur» n’est pas réaliste et qu’il véhicule une image impossible et irréelle des femmes, elles poursuivent tout de même le rêve impossible d’être toujours la plus belle pour aller danser. «Les jeunes femmes estiment que la société leur en demande beaucoup et qu’elle est, de ce fait, superficielle, puisque l’idéal qui leur proposé n’est qu’une image», explique Marie-Claire Bouchard. Elles critiquent la notion d’idéal féminin, mais cette notion demeure malgré tout la référence en matière de beauté.»
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