
Arts visuels
Artiste et polémiste
Installé à New-York depuis un quart de siècle, le peintre Jean-Marie Martin brosse de grandes questions politiques auxquelles il avoue ne pas trouver de réponses
À première vue, les onze tableaux de Jean-Marie Martin exposés à la Galerie des arts visuels de l’Édifice La Fabrique ressemblent à des œuvres purement abstraites avec leur construction formaliste et leur apparence minimaliste. Ces grandes bandes de couleurs vives, cet alignement géométrique délivrent pourtant un message, pour peu que le visiteur se rapproche du centre du panneau, et surtout s’intéresse à son titre. Chaque nom, Namibie, Pays de Bush, Codes d’alerte, Hermes, contient en effet une clef pour aller au-delà des apparences.
Conçue en deux volets distincts, l’exposition s’intéresse au capitalisme et à la politique. Il faut, par exemple, se rapprocher du Second amendement , en référence à l’article de la constitution américaine permettant de posséder des armes, pour mieux comprendre. Des douilles de balles soigneusement plantées dans le panneau de bois s’alignent pour former un simili drapeau américain. Comme le réalisateur Michael Moore dans Bowling for Colombine, le peintre a lui aussi pris le chemin d’un Wal-Mart pour constater à quel point il est aisé de se procurer des munitions. «C’est fou, il suffit de s’éloigner un peu de New-York pour s’équiper très facilement,» constate Jean-Marie Martin.
Cela fait plusieurs années que la fabrication des œuvres de ce peintre, natif de La Pocatière, mais aujourd’hui naturalisé Américain, l’entraîne dans des aventures créatives. Il y a une décennie, il dénonçait les atteintes à l’environnement en utilisant des matériaux toxiques. Souvent, l’artiste se transformait en détective à la recherche de commerces prêts à lui vendre de la peinture au plomb, des pesticides, du nitrate d’ammonium, des produits généralement retirés de la distribution. Aujourd’hui, c’est la montée du terrorisme et la dérive sécuritaire des États-Unis qui l’inquiètent au plus haut point. Une dérive qu’il exprime notammentavec cet alignement de bandes colorées figurant les différents codes d’alerte, ou encore cette veste pare-balles plantée au centre d’un panneau. «On fait peur aux Américains tous les jours, et les républicains vont sans doute être élus à nouveau grâce à cette peur, tempête l’artiste. Bush, c’est la folie ! C’est le président le plus con qui ait jamais existé. Les enquêtes du FBI, de la CIA ont beau prouvé qu’il ment, il continue à tenir le même discours sur l’Irak ou l’Afghanistan… »
Second volet
L’autre volet de l’exposition, les peintures capitalistes, illustre sans doute l’ambiguïté. Tout en se définissant comme un libéral ouvert d’esprit, sensible aux méfaits d’une ségrégation de classes, Jean-Marie Martin reconnaît volontiers qu’il apprécie les beaux objets, les belles choses. Plusieurs de ses peintures mettent en couleurs ce paradoxe, comme Namibia. Il a placé un diamant de quelques carats au centre, un diamant acheté auprès de bijoutiers de la 47ème rue à New-York. Pour moi, cela illustre le monde interlope autour de ce genre de marchandises, souligne-t-il. Un Namibien, vivant dans la pauvreté, a sorti le diamant d’une rivière, et il s’est fait exploiter en le vendant. Puis cette pierre a subi encore des transformations par des criminels à Amsterdam ou ailleurs. Je considère donc mes tableaux comme des questions que je pose. Mais je n’ai pas de réponses.»
Quelques autres tableaux de cette série, comme l’once d’or insérée au centre d’une cible d’argent, le carré de soie Hermès, correspondent à son besoin intrinsèque de critiquer une société dans laquelle il se sent pourtant si bien intégré. Marié à une Américaine, Jean-Marie Martin a tenu à devenir citoyen à part entière pour pouvoir voter et donner son avis. Il refuse toutefois de céder à la panique ambiante et rêve d’un milieu de vie ouvert, tolérant. Tout en se demandant si ce choix d’existence ne l’obligera pas à reprendre la direction du Nord.
Les toiles de Jean-Marie Martin sont présentées jusqu’au 29 octobre à la Galerie des arts visuels, 255, boulevard Charest, du mercredi au vendredi de 11 h 30 à 16 h 30 , le samedi et le dimanche de 13 h à 17 h.

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