
Kasper, le gentil champignon albinos
Des chercheurs utilisent une espèce qui attaque le bois pour mieux protéger ce même bois!
Une équipe de chercheurs canadiens s’est inspirée de l’adage «si vous ne pouvez les vaincre, unissez-vous à eux» pour mettre au point un traitement biologique contre un champignon qui fait perdre des dizaines de millions de dollars chaque année aux industries canadiennes. Ce champignon, Ceratocystis resinifera, s’attaque aux résineux fraîchement coupés et provoque un bleuissement du bois qui en abaisse la valeur marchande. «La coloration provient d’un pigment produit par le champignon, précise un des membres de l’équipe de recherche, le professeur Louis Bernier, du Département des sciences du bois et de la forêt. Le problème est purement esthétique parce que la structure du bois n’est pas affectée.» Plutôt que de s’évertuer à trouver moyen de détruire ce champignon très répandu au Canada, les chercheurs ont choisi la voie de la conciliation: ils ont sélectionné une souche qui envahit le bois tout comme la souche standard, mais qui est incolore!
Dans un récent numéro de la revue Phytopathology, les chercheurs Chantal Morin et Louis Bernier, du Centre de recherche en biologie forestière, Philippe Tanguay et Colette Breuil, de UBC, et Dian-Qing Yang, de Forintek Canada, expliquent comment ils s’y sont pris pour combattre le feu par le feu. À partir de 300 échantillons provenant de différentes régions du Canada, les chercheurs ont cultivé 50 000 colonies qui présentaient toutes la coloration gris-bleu caractéristique de l’espèce, sauf une formée par un mutant spontané albinos qu’ils ont nommé Kasper. «Le mutant est identique à la souche standard sauf pour une mutation dans un gène qui affecte la production de mélanine», explique Louis Bernier.
En appliquant ce champignon sur les parties de l’arbre qui ne sont pas protégées par l’écorce après la coupe, les chercheurs favorisent la colonisation du bois par cette souche plutôt que par des champignons qui colorent le bois. «Ces champignons semblent fonctionner sur la base du premier arrivé, premier servi. Une fois que le bois est colonisé par une espèce, les autres parviennent difficilement à se joindre au banquet», caricature le professeur. Des essais effectués sur le terrain montrent que Kasper réduit de 80 % le bleuissement des billes de bois, une performance nettement supérieure au Cartapip-97, le produit commercial présentement utilisé pour prévenir ce problème.
En général, il peut s’écouler entre un et six mois avant qu’un arbre coupé soit transformé à l’usine, ce qui laisse beaucoup de temps aux champignons de coloration pour faire leur oeuvre. «Pour une entreprise qui doit produire un bois sans coloration pour conserver ses marchés, l’utilisation de Kasper pourrait être intéressante sur le plan économique, estime Louis Bernier. Pour l’instant, je comprends que la majorité des industries canadiennes du bois de sciage sont aux prises avec des problèmes plus graves que la coloration du bois. Toutefois, si la situation s’améliorait, certaines entreprises pourraient considérer l’application de Kasper sur les arbres au moment de l’abattage.»

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