Économie souterraine
Parce qu’ils leur redonnent un certain pouvoir d’agir, les jardins collectifs enracineraient les citoyens dans la solidarité
Les jardins collectifs ne poussent peut-être pas comme des champignons dans les villes, mais ils font germer l’esprit d’entraide dans la tête des collectivités qui bourdonnent autour de ces îlots de verdure volés à la ville. Plus encore, dans une société où l’économie de marché est essentiellement basée sur l’offre et la demande, ces espaces constituent une bouffée d’air frais et témoignent qu’il est possible de fonctionner différemment; en résumé, de produire une partie de ce qu’on consomme sans passer par des intermédiaires.
«L’économie ne se limite pas aux transactions effectuées sur le marché, et il n’y a pas que les économistes qui ont quelque chose à dire sur la question», affirme Manon Boulianne, professeur au Département d’anthropologie. Menant des recherches depuis 1998 sur l’agriculture urbaine au Québec et au Mexique dans le cadre de travaux sur les nouvelles formes d’échange et de production non monétaires dans un contexte de globalisation, Manon Bouliane donnait une conférence le 16 septembre au Musée de la civilisation. Titre de son exposé: «Faire pousser la solidarité: les jardins communautaires et collectifs au Québec».
Manon Boulianne établit une distinction entre les jardins communautaires et les jardins collectifs. Si les jardins communautaires sont des lieux où des gens à faible revenu comme des gens plus fortunés avides d’espaces verts se rendent pour jardiner, échanger des plantes ou simplement bavarder, les jardins collectifs, eux, possèdent une mission essentiellement sociale, comme la lutte à la pauvreté. C’est ici qu’entre en jeu la notion de solidarité, note Manon Boulianne. «Les jardins collectifs servent en premier lieu à approvisionner les cuisines collectives, explique-t-elle. Ils donnent un pouvoir d’agir aux personnes qui n’ont pas souvent l’occasion de l’exercer. Pour elles, partir d’une petite graine et faire pousser quelque chose représente beaucoup. Enfin, comme les produits cultivés sont tous biologiques, au Québec du moins, les personnes consomment de la nourriture saine qu’ils ne pourraient s’offrir autrement. Ils économisent en même temps qu’ils prennent soin de leur santé.»
Des liens importants
Selon l’anthropologue, ces jardins s’inscrivent tout à fait dans la lutte contre la globalisation, dans une volonté de penser et d’expérimenter une économie plus solidaire. Cette «autoproduction» participe à l’économie non monétaire, qui ne se compte pas nécessairement en argent sonnant, mais en dons, en temps ou en services. «Dans les sociétés pré-capitalistes, l’économie était enchâssée dans le social, dit Manon Boulianne. Les rapports de parenté déterminaient avec qui on travaillait, quelle part de gibier on recevait et à qui on devait fournir de la nourriture et des cadeaux. Aujourd’hui, ces liens ne sont pas disparus, mais on tente de nous faire croire qu’ils n’ont plus d’importance. Pourtant, ils sont essentiels. Je le répète: cessons de croire que l’amélioration de qualité de vie des citoyens de toutes les nations passe nécessairement par l’expansion de l’économie de marché capitaliste.»
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