
Le grand pardon
Juge à la Cour suprême d’Argentine, Carmen Argibay se bat pour que les femmes violées en temps de guerre obtiennent justice
Le viol des femmes comme arme de guerre existe depuis les débuts de l’humanité. Il faut le combattre, le dénoncer et punir les coupables. Surtout, ne pas fermer les yeux devant ce crime horrible qui marque à jamais au fer de la honte des milliers de femmes qui ont le malheur de se trouver sur le chemin de ces hommes qui violent sous le couvert de l’anonymat ou de l’uniforme militaire.
C’est le vibrant message qu’a livré Carmen Argibay, première femme nommée juge à la Cour suprême d’Argentine sous un gouvernement démocratique, reconnue comme une sommité dans le domaine de l’avancement des droits des femmes, à la centaine d’étudiantes et d’étudiants de droit qui avaient envahi une salle du pavillon Charles-De Koninck, le 11 septembre. La rencontre était organisée conjointement par la Chaire d’étude Claire-Bonenfant sur la condition des femmes, l’organisme Avocats sans frontière et la firme d’avocats Lavery, De Billy.
«Quand j’entends des hommes affirmer que le viol est l’une des contingences de la guerre, cela me met très en colère, affirme Carmen Argibay. Je ne crois pas qu’on puisse admettre une telle chose parce que cela équivaut à permettre que des choses horribles puissent se passer.» Ayant entre autres siégé au Tribunal de Kyoto en 2000 dans la tristement célèbre affaire des «femmes de réconfort», ces jeunes victimes d’esclavage sexuel de l’armée impériale japonaise pendant la Deuxième Guerre mondiale, Carmen Argibay voue une admiration sans bornes à ces femmes qui ne se considèrent pas comme des victimes mais bien comme des survivantes. «C’est l’éternelle histoire du plus armé et du plus puissant qui va contre le plus faible et le plus vulnérable, constate la juge. Et comme dans plusieurs pays du monde, c’est toujours la personne violée qui est la coupable.»
Briser le silence
Restée cachée au reste du monde durant 60 ans, le gouvernement du Japon voulant étouffer cet épisode peu reluisant de son histoire, l’affaire des femmes de réconfort a refait surface en 1990, alors que des rescapées ont brisé le silence afin que justice soit faite. Encore aujourd’hui, les survivantes demandent une réparation officielle de la part du gouvernement japonais qui, jusqu’à maintenant, n’a présenté que de vagues excuses aux gouvernements des pays concernés, notamment la Chine, la Corée et l’Indonésie. Près de 200 000 jeunes filles ont été violées dans des «centres de délassement» sous contrôle militaire. Avant d’aboutir dans ces baraques infectes où les soldats japonais venaient en toute impunité violer des enfants dont plusieurs n’avaient pas plus de 12 ans, les jeunes filles étaient littéralement volées à leurs familles, le chef du village fermant les yeux en échange d’une somme d’argent. Pour que les victimes perdent tout contact avec leurs proches, on les exilait en terre étrangère. C’est ainsi que des jeunes Coréennes se sont retrouvées en Chine et que des jeunes Chinoises ont vécu l’enfer en Indonésie, tous des pays occupés alors par le Japon.
«Toutes les femmes qui demandent réparation depuis 1990 ont exigé que les accusés ne soient pas jugés ailleurs qu’au Japon, souligne Carmen Argibay, qui estime que les femmes doivent continuer de se battre pour qu’on leur rende justice. C’est très difficile pour le gouvernement japonais de demander pardon aux femmes. Pourtant, c’est ce que ces femmes espèrent : qu’on leur demande pardon sincèrement pour le mal qu’on leur a fait, à elles ainsi qu’à toutes celles qui n’auront pas vécu assez longtemps pour pouvoir l’entendre.»

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