
Pénalité: décrochage?
Envahie par l’humour, l’improvisation ne serait plus un jeu où le risque doit dominer
L’improvisation, telle que développée au Québec dans les années 1970, occupe une place de choix sur la scène culturelle. Au point qu’on a souvent l’impression que ce style de jeu a surgi brusquement, de façon spontanée. Aux yeux d’une spécialiste des formes populaires de théâtre comme Chantal Hébert, l’affirmation mérite cependant d’être nuancée. «Des gens du théâtre burlesque comme Gilles Latulipe ou Jean Grimaldi pratiquaient déjà l’improvisation, sans parler du cabaret, rappelle cette professeure en études théâtrales à la Faculté des lettres. Les Fridolinades de Gratien Gélinas avaient aussi un côté improvisé au début». Par ailleurs, la chercheure voit un lien de filiation très clair entre le style d’improvisation développé par Robert Gravel et ses amis au sein de la LNI, qui a inspiré la LUI, et des formes plus anciennes comme la littérature orale, le conte, les légendes. Dans son récit, le conteur doit absolument tenir compte des réactions de son auditoire, de la même façon qu’un improvisateur à l’écoute du moindre signe de la foule.
En fait l’improvisation, telle que développée par les acteurs dans le Québec en ébullition des années 1970, se veut une rupture avec le théâtre naturaliste et le théâtre à texte, alors enseignés dans les écoles de théâtre. En impro, les acteurs doivent avoir de la répartie, développer un jeu rythmé, rapide. «C’est vrai que ces notions s’apprennent difficilement. Il faut les vivre», souligne Chantal Hébert. Cette forme d’expression débridée, cette écriture folle va donner naissance à de nouveaux spectacles comme ceux de Ding et Dong, puis plus tard de La P’tite vie. L’enseignante se souvient aussi avec beaucoup de plaisir de cette célèbre impro de Robert Lepage, à la LNI, qui transportait le public à New-York pour quelques minutes: «Avec seulement un mot ou deux, mais surtout beaucoup d’expressions, on visitait toute la ville, en rencontrant même la Statue de la Liberté, c’était formidable!»
Les spectateurs deviennent aussi participants à part entière du spectacle. Il ne faut plus seulement qu’ils écoutent, mais qu’ils donnent leur opinion, ce qui peut en inciter plusieurs à se risquer ensuite sur la patinoire. Nombre de comédiens découvrent également dans ce jeu une nouvelle liberté qui les pousse, avec les metteurs en scène et les auteurs, à expérimenter de nouvelles façons d’aborder le théâtre. Le Théâtre Niveau Parking de Québec proposait ainsi il y a quelques années aux spectateurs de composer leur spectacle à partir de quatre canevas et d’une banque de comédiens. Aujourd’hui, cet échange entre l’improvisation et le théâtre est-il toujours d’actualité ? «J’ai l’impression qu’actuellement, l’heure est moins à l’expérimentation, avance Chantal Hébert. C’est davantage l’humour, le divertissement qui priment. Je pense que le public qui va voir des matchs d’impro ne fréquente pas nécessairement le théâtre, même si plusieurs de nos étudiants apprécient les deux. En général, les jeunes spectateurs aiment le caractère festif de l’impro, qu’ils ne retrouvent pas toujours dans une salle de théâtre puisque l’action ne change pas si rapidement.»
La comédienne Isabelle Carpentier abonde dans le même sens, elle dont le mémoire de maîtrise portait justement sur l’évolution de la LNI. «Aujourd’hui à l’impro, les références sont télévisuelles et non plus théâtrales, car les jeunes ne sauraient pas improviser dans des catégories «à la manière de Bertolt Brecht ou de la Comedia dell’arte. Ils privilégient donc l’humour car c’est un langage qu’ils connaissent bien.» Après cinq ans passés à la LUI entre 1995 et 2000, la jeune femme a quelque peu abandonné ce type de langage artistique. Elle regrette en effet que la nécessité de créer un spectacle capable d’attirer le plus grand nombre porte ombrage désormais au côté expérimental de l’improvisation et à la prise de risque.

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