
Débat public Participe Présent
Pas de guerre mondiale en vue
Cinq ans après le drame du 11 septembre, le conflit des civilisations semble se jouer à l’intérieur même des États
Réunis au Musée de la civilisation pour discuter lundi soir de leur vision des événements du 11 septembre cinq ans plus tard, les quatre invités du débat «Participe Présent» se sont entendus pour constater que les attentats du World Trade Center ne constituent pas le prélude d’une nouvelle guerre mondiale. Pour la journaliste Agnès Gruda, le politologue Jean-Pierre Derriennic, la spécialiste des relations internationales Janine Krieber ou le chroniqueur Jean-Claude Leclerc, cet épisode meurtrier doit plutôt être analysé comme un des signes de la montée du mouvement islamiste dans le monde et de la transformation du mode d’organisation des groupes armés. Ces derniers ont en effet profité de la mondialisation pour créer de nouvelles alliances sur la planète, en particulier depuis la fin de la guerre froide et la disparition du bloc soviétique.
Selon le professeur au Département de science politique de l’Université Laval, Jean-Pierre Derriennic, l’expression «guerre au terrorisme» constitue une formule aussi détestable et absurde que la «guerre à la criminalité ou à la drogue». «On ne peut pas faire disparaître le terrorisme, les politiciens ne peuvent pas gagner, car il ne s’agit pas d’une guerre prenant fin par une victoire ou une défaite», souligne-t-il. Il constate, par contre, que plusieurs conflits dans le monde témoignent des difficiles relations des musulmans avec les autres, qu’il s’agisse de la situation en Afghanistan, au Liban, en Irak, dans le Sud des Philippines ou, plus anciennement, en Bosnie-Herzégovine. Attention cependant à la tentation de relier tous ces problèmes et d’y répondre en augmentant le niveau de violence. «Il n’y a pas un centre unique qui tire les ficelles de l’internationalisme musulman, comme l’Iran et Washington veulent nous le faire croire. Le gouvernement américain est particulièrement borné pour analyser les choses de cette façon-là», affirme-t-il .
Comme plusieurs des invités du débat, le politologue craint que l’invasion de l’Irak par les Américains, en réponse aux attentats du 11 septembre, ne provoque une contagion de la violence dans la région. Il remarque en effet que, depuis un quart de siècle, les combattants islamistes sont recrutés souvent à l’extérieur des pays concernés, que l’on pense aux volontaires venus combattre les Russes en Afghanistan et en Tchétchénie ou aux appuis que reçoit l’Irak aujourd’hui. Une tendance qui s’explique en partie, selon Janine Krieber, professeure au Collège militaire royal du Canada, par l’accélération des communications et des transports. «Profitant de la faiblesse de certains États à la suite à la fin de la guerre froide, les groupes islamistes s’allient et constituent des réseaux, précise-t-elle. Je pense que si Internet avait existé au temps des Brigades Rouges ou de l’IRA, ces groupes terroristes auraient eu un impact beaucoup plus important.»
La force du discours religieux aggrave également certaines dissensions régionales exploitées par les terroristes. Journaliste à La Presse depuis plus de vingt ans, Agnès Gruda s’étonne de la vigueur de la ferveur religieuse lorsqu’elle visite certains pays du Proche-Orient. «La situation a évolué très rapidement dans les territoires palestiniens, remarque-t-elle. Des gens qui, jusque-là, avaient peur du Hamas considéraient, six mois plus tard, que ce groupe pouvait finalement sortir le pays de la corruption. Je n’ai pu trouver aucune féministe palestinienne s’inquiétant de leur élection pour le droit des femmes.» À l’entendre, cette recrudescence des religions ne concerne pas que l’islam et le Moyen-Orient puisque, aux États-Unis, quatre citoyens sur dix croient aux théories créationnistes. La journaliste considère donc que le conflit des civilisations se joue à l’intérieur même des sociétés entre, d’un côté, les modérés et les laïques et, de l’autre, les religieux plus fondamentalistes qui considèrent que les règles communes doivent être dictées par la religion.
Une vision que partage le chroniqueur au Devoir Jean-Claude Leclerc. Pour ce spécialiste des religions, les intégristes de la Bible ou du Coran tiennent la dragée haute à Washington et à Téhéran, et plusieurs parmi eux prévoient même que nous approchons de la fin des temps. Pour sa part, il ne croit pas à un désastre imminent de l’humanité. Il constate d’ailleurs que les groupes radicaux ont souvent peu d’impact dans les sociétés organisées. «Le problème, ce n’est pas la force des islamistes, mais le caractère archaïque des États où ils se trouvent, car souvent ces États oppriment leur population», analyse le chroniqueur. Plutôt que d’intervenir militairement dans un pays en tentant d’éradiquer le terrorisme, les participants au débat prônent une meilleure analyse des causes de la violence dans certaines régions du monde, et surtout un soutien actif aux modérés au sein de ces sociétés. Le Liban, avant l’intervention israélienne, semblait constituer un exemple intéressant au Proche-Orient de progression démocratique, fait remarquer Jean-Pierre Derriennic. «En politique, ce qui semble bouché peut se débloquer rapidement si les leaders y mettent du leur», conclut avec optimisme Jean-Claude Leclerc en citant les cas de la dissolution de l’URSS et de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.

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