Zoom
La philo est in
«Je pense que la philosophie se porte assez bien au Canada», indique Luc Langlois, doyen de la Faculté de philosophie et nouveau président, depuis mai dernier, de l’Association canadienne de philosophie. Cette association regroupe un millier de membres. Ce sont, pour l’essentiel, les professeurs de philo qui enseignent dans les universités partout au Canada, ainsi que les doctorants dans cette discipline. Au cours de la prochaine année, la tâche du doyen Langlois consistera notamment à faire la promotion de la philo au pays. Selon lui, on assiste, depuis une vingtaine d’années, au Québec comme au Canada, à un regain d’intérêt pour la philosophie. «Cette demande, explique-t-il, passe beaucoup par les questionnements éthiques, mais aussi par les questionnements sur le politique, comme les rapports entre les cultures et l’avenir de la démocratie.» Luc Langlois se réjouit de voir les philosophes de plus en plus sollicités pour participer aux débats publics. «La philo ne peut pas être qu’un savoir spécialisé, soutient-il. La figure de Socrate nous le rappelle, lui qui jugeait essentiel de discuter avec ses concitoyens. C’est le philosophe dans la Cité. C’est d’ailleurs un peu ça le but de la Chaire d’enseignement et de recherche «La philosophie dans le monde actuel» dont le titulaire est Thomas De Koninck.»
L’intérêt renouvelé pour la philosophie s’observe aussi ailleurs. En France, par exemple, on assiste, depuis quelques années, à la publication de nombreux ouvrages sur cette discipline. En Angleterre, les inscriptions aux études de philosophie connaissent une hausse importante. «Cet engouement, avance Luc Langlois, est peut-être dû à la mort des grandes idéologies et à l’emprise de plus en plus insupportable de la pensée unique. Peut-être aussi est-ce une réaction à l’abrutissement médiatique qu’on associe de plus en plus au formatage de la pensée, à un refus de la complexité et de la nuance, au profit du clip, du slogan publicitaire ou des formules toutes faites.»
Ce printemps, les Presses universitaires de France ont publié un ouvrage collectif codirigé par Luc Langlois. Intitulé Les philosophes et la question de Dieu, ce livre, dont le premier tirage a été épuisé en un mois, retrace l’histoire du concept de Dieu dans la tradition philosophique. «La question de Dieu, dit-il, est beaucoup plus présente qu’on ne le croit: elle connaît un regain significatif, notamment dans le champ politique, ce dont on peut s’inquiéter, mais aussi dans le débat sur la place du religieux dans les sociétés modernes.»
«L’engouement pour la philo est peut-être dû à la mort des grandes idéologies et à l’emprise de plus en plus insupportable de la pensée unique.»
Platon, Kant et les autres
La Faculté de philosophie compte actuellement quelque 300 étudiantes et étudiants réguliers. Bon nombre viennent acquérir une culture générale forte, que ce soit en éthique ou dans l’étude des grands auteurs de la philosophie ancienne ou allemande. «Aux cycles supérieurs, nous voyons un nombre assez important d’étudiants, en provenance d’autres disciplines comme le droit ou la médecine, venir acquérir une formation complémentaire», précise Luc Langlois. Chaque année, entre 1 500 et 2 000 étudiants hors-Faculté, dont des personnes inscrites à la formation continue, reçoivent une formation complémentaire en philo. Leur intérêt porte principalement sur les principes de logique, la philosophie pour les enfants et l’éthique médicale. «À compter de cet automne, indique le doyen, tous les étudiants inscrits à un programme de génie devront suivre le cours Éthique et professionnalisme.» Il ajoute que l’enseignement dans un cégep ou dans une université demeure le principal débouché pour les diplômés de philosophie. «Et, dit-il, les perspectives d’emploi ne sont pas mauvaises pour les prochaines années.»
Le corpus de la philosophie s’étend sur vingt-cinq siècles, soit depuis qu’a germé l’idée, au sixième siècle avant Jésus-Christ, en Grèce, d’une interrogation rationnelle sur ce qui est fondamental chez l’humain. «Platon, Kant et d’autres ne sont pas démodés, soutient Luc Langlois. Ils ont réfléchi avant nous et ils ont, sans aucun doute, encore beaucoup à nous apprendre.» Selon ce dernier, les grandes questions fondamentales sont demeurées les mêmes au fil des siècles. «Épicure, explique-t-il, s’est interrogé sur le plaisir. Qu’est-ce qui constitue le véritable bonheur pour l’homme? Cette question, on continue de se la poser aujourd’hui. D’autres questions ultimes sont: qu’est-ce que je fais ici ? Quelle est la valeur de la vie, et d’abord de la vie humaine? Et puis il y a l’interrogation inévitable sur la transcendance.»
|
|