Toutes anguilles unies
Des biologistes démontrent que les anguilles d’Europe et d’Amérique peuvent produire des hybrides viables et fertiles
Vicky Albert et Louis Bernatchez, du Département de biologie, et leur collègue islandais Bjarni Jonsson viennent de démontrer que les anguilles américaines et européennes peuvent s’accoupler et donner naissance à des hybrides viables et fertiles. Cette découverte, que les chercheurs annoncent dans un récent numéro de la revue scientifique Molecular Ecology, vient donc confirmer formellement ce que soupçonnaient les biologistes depuis des décennies.
Plusieurs indices portaient à croire que ces deux espèces pouvaient occasionnellement «sauter la clôture». D’une part, l’occasion faisant le larron, le chevauchement de leurs aires et de leur saison de reproduction dans la mer des Sargasses favorisait les échanges intimes. D’autre part, l’existence de spécimens islandais montrant un nombre intermédiaire de vertèbres laissait supposer que certaines anguilles étaient passées à l’acte. Rien ne permettait toutefois de confirmer qu’il y avait bien croisement génétique et surtout que les hybrides issus de cette union étaient fertiles.
Les trois chercheurs ont procédé à l’analyse de 373 marqueurs du génome de 1 127 anguilles provenant d’Europe, d’Amérique et d’Islande. Ils ont ainsi découvert que tous les spécimens d’Europe étaient de lignée pure, mais que 1,6 % des spécimens américains – ceux provenant des sites les plus nordiques - étaient des hybrides. En Islande, la grande majorité des spécimens se rangeait dans le camp de l’anguille européenne, mais 16 % étaient porteurs de gènes américains. Plus important encore, les analyses ont permis d’établir que certains des hybrides étaient de deuxième génération, c’est-à-dire que leur parent était viable, fertile et capable d’effectuer la migration depuis l’Islande jusqu’à la mer des Sargasses. «L’hybridation des deux espèces ne constitue pas un cul-de-sac génétique», concluent les chercheurs.
L’abondance de ces hybrides semble en baisse depuis quelques années, révèlent toutefois les données. Pour l’instant, les chercheurs ne peuvent qu’avancer des hypothèses pour expliquer ce déclin ainsi que la répartition non aléatoire des hybrides «Il y a encore beaucoup de choses que nous ignorons au sujet de la reproduction de l’anguille», constate le professeur Bernatchez. La mystérieuse espèce pourrait livrer quelques-uns de ses secrets le printemps prochain alors que deux bateaux de recherche danois mettront le cap sur la mer des Sargasses pour une expédition scientifique de dix jours. Invité à titre de spécialiste de la génétique des poissons, Louis Bernatchez se rendra dans ce coin du monde où, curieusement, aucune anguille adulte n’a jamais été capturée.
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