Passion, patience, persévérance
Extraits de l’allocution de Janette Bertrand, docteure ès lettres honoris causa
«Je ne suis pas sûre de mériter tout ça. Je vais essayer de ne pas pleurer ! Je viens d’un milieu, rues Ontario et Frontenac à Montréal, qui s’appelait le parc Frontenac, pour ne pas l’appeler le Faubourg à mélasse. Les petites filles arrêtaient d’aller à l’école en septième année, pour s’en aller travailler dans la manufacture Macdonald Tobacco. Elles se brûlaient les poumons à «décotonner» le tabac. On disait ça, je ne sais pas si c’est un mot français, «décotonner» le tabac.
«J’ai eu la chance d’avoir un père qui a voulu que je fasse des études, alors que ce n’était pas du tout la mode, il y a soixante ans. Et je suis allée à l’Université de Montréal en lettres parce que je voulais être grand reporter. Je me souviens aujourd’hui de ma collation de grades. Nous étions deux filles seulement. Ça a bien changé et j’en suis très très très heureuse. Après, je me suis fait un devoir - c’est rien que ça, rien que ça ce que je suis - de dire: Je vais me servir des médias, des journaux et de la radio à l’époque, et puis après la télévision, pour essayer d’apporter quelque chose à ces filles-là qui n’ont pas eu ma chance. Je me sentais même coupable d’avoir étudié, de savoir des choses qu’elles ne savaient pas. Dans mes émissions à la radio, je m’adressais toujours à ces personnes-là.
«Après, j’ai eu des enfants et je me suis juré que mes filles - mon fils est venu bien après - qu’elles ne seraient pas aussi innocentes que je l’avais été et qu’elles auraient plus de chances. Et que, si elles voulaient être grand reporter, elles, elles le seraient. Puisque moi, aucun journal ne m’avait permis d’accéder à ce poste. Tout ce qu’on m’avait demandé, c’était de décrire les mariages le samedi.
«Alors, voilà, c’est tout ça, Janette, c’est rien que ça. Et je continue. Je continue à écrire. J’ai gagné ma vie en écrivant. Je vous dis à vous, chers diplômés - je fais ma grand-mère là -, je vous dis: J’ai fonctionné toute ma vie avec les trois «P»: passion, patience, persévérance. Je vous les donne en cadeau. Merci encore à l’Université Laval qui reconnaît qui je suis. Merci infiniment. Je suis très honorée.»
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