Elles voulaient savoir
Il y a quarante ans, à travers le courrier du cœur, Janette Bertrand était le refuge de bien des jeunes filles en mal d’amour
Si la sexualité des adolescentes d’aujourd’hui n’est en rien comparable à celle des jeunes filles des années 1960, leurs préoccupations, elles, sont toujours les mêmes. Encore de nos jours, elles ont peur de perdre leur ami de cœur si elles refusent de faire l’amour avec lui, n’ont de cesse de s’interroger sur les sentiments véritables du garçon et sont souvent déchirées entre leurs rêves et les désirs, disons plus charnels, de leurs copains.
C’est la conclusion à laquelle en est venue Johanne Sénéchal, dans son mémoire de maîtrise intitulé «Le Refuge Sentimental, l’engagement de Janette Bertrand au cœur de l’affirmation de jeunes femmes du Québec entre 1958 et 1968». Pour les fins de cette étude supervisée par Johanne Daigle, du Département d’histoire, Johanne Sénéchal a analysé le contenu de 271 lettres envoyées durant cette période au Refuge Sentimental, du nom du courrier du cœur publié dans l’hebdomadaire montréalais Le Petit Journal, et tenu par Janette Bertrand.
«Mon objectif était de connaître les conceptions qu’entretenaient les jeunes Québécois, et plus particulièrement les jeunes Québécoises, à l’égard de l’amour, des fréquentations, du mariage et de la sexualité, à un moment où un vent de libération soufflait sur le Québec, explique Johanne Sénéchal. En effet, contrairement aux décennies précédentes, on n’inculquait plus aux jeunes la peur de la sexualité et son association au péché. Au contraire, on enseignait que les relations sexuelles, si elles étaient vécues selon les préceptes de l’Église, étaient une fonction belle et épanouissante. Mais cela n’empêchait pas le fait que la sexualité demeurait un sujet tabou que les parents hésitaient à aborder avec leurs ados, d’ajouter Johanne Sénéchal. Pour ces jeunes, Janette Bertrand représentait une alternative idéale: c’était une personne d’expérience qui savait non seulement les écouter mais qui ne les jugeait pas et leur répondait franchement et ouvertement.»
Un bon mari
Principal thème abordé dans le Refuge: les fréquentations. «M’aime-t-il? Fera-t-il un bon mari?» sont des questions qui reviennent souvent sous la plume des correspondantes. Alors que les jeunes filles semblent vouloir passer le plus de temps possible avec leur amoureux, les garçons, eux, craignent de perdre leur liberté en s’engageant trop sérieusement et sont invités à vivre leur «vie de jeunesse» avant le mariage. Pour les filles, le mot d’ordre consiste à ne pas servir de «distraction» au jeune homme; à cet égard, le manque de respect constitue la preuve par excellence que ce dernier n’est pas sérieux dans sa démarche. «Si tu m’aimes, tu dois me le prouver», dit le garçon, cette preuve d’amour se traduisant par des faveurs sexuelles. La fille est coincée, ne voulant pas perdre l’amoureux. Dans la majorité des cas, Madame Bertrand se range du côté de l’opinion publique. «Le meilleur moyen de perdre un garçon, c’est de faire tout ce qu’il demande», écrit-elle.
Le fait de sortir sérieusement avec un garçon ne veut pas dire qu’on ne peut pas revenir en arrière si l’idée de s’unir à lui pour la vie ne convient plus. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons qui pousse les jeunes filles à écrire au Refuge Sentimental, note Johanne Sénéchal. «Mon ami est autoritaire, jaloux, il ne me respecte pas. Dois-je le laisser?» À cette question, Janette Bertrand répond: «Il n’y a pas de plus grand malheur que de vivre 45 ou 50 ans avec un homme que l’on n’aime pas. Prenez votre temps…»
«En ce début de 21e siècle, il ne reste que peu de courriers du cœur, souligne l’historienne. Cela ne signifie pas pour autant que la population ait moins besoin de conseils. De nombreux adolescents éprouvent toujours le besoin de se confier de façon anonyme. Ils ont seulement trouvé une nouvelle avenue pour faire connaître leurs états d’âme, avec Internet et les forums de discussions.»
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