
Le courrier
La négociation avec les maîtres de langue
Rectifications de l’Université Laval
Lettre ouverte
Monsieur Yves Bellefleur
Rédacteur en chef
Le Soleil
410, boul. Charest Est
C.P. 1547, Succursale Terminus
Québec, Québec
G1K 7J6
Monsieur,
Par souci d’équité et de transparence et par suite des informations déformées parues le 3 juin dernier aux première et quatrième pages du journal Le Soleil, l’Université Laval tient à rétablir les faits en ce qui concerne le déroulement de la dernière négociation avec les maîtres de français langue seconde et l’affirmation non fondée à l’effet qu’elle aurait eu recours à des briseurs de grève.
Les deux articles du Soleil ont fait allusion au rapport de l’enquêteur détaché par le Ministre du travail à la suite d’une plainte du Syndicat des maîtres de langue quant à la possibilité que l’Université ait contrevenu à un article du Code du travail en matière d’utilisation de briseurs de grève. Deux remarques s’imposent: d’une part, ce rapport, contrairement à ce que prétend le journaliste du Soleil, n’est pas l’élément qui a fait bouger les choses. Le règlement est survenu le 1er juin parce qu’il s’agissait là de la date limite pour admettre les étudiants au programme de français langue étrangère et pour empêcher que le lock-out décrété par l’Université perdure toute l’année 2006-2007. D’autre part, en ce qui concerne les supposées irrégularités soulevées par l’enquêteur, l’Université aurait pu démontrer sa bonne foi et son respect du Code du travail devant le tribunal si la cause avait pu être entendue.
Voici les faits. L’Université a déposé un projet couvrant l’ensemble des clauses normatives le 27 septembre 2005. C’est à cause de la lenteur du processus de négociation que, six mois plus tard, l’Université a demandé l’intervention d’un conciliateur du Ministère du travail. L’Université avait fixé au 1er juin la date limite pour en arriver à une entente avec ses maîtres de langue de façon à pouvoir donner suite aux demandes d’admission, pour l’automne, des étudiants étrangers, lesquels doivent se procurer des visas, réserver leurs titres de transport, choisir une résidence. Pour pouvoir assurer à ces étudiants que les sessions d’automne et d’hiver se déroulent normalement, il fallait accélérer les discussions. C’est pourquoi l’Université s’est résolue, le 5 mai, à avoir recours au lock-out. Il n’a jamais été dans l’intention de l’Université d’ «écraser» ses maîtres de langue.
L’Université avait coiffé ses demandes de différents principes dont le plus important était l’équité entre ses différents personnels enseignants associés à temps plein, qu’ils soient chargés d’enseignement, responsables de formation pratique ou maîtres de langue.
L’entente intervenue entre les parties procède directement d’une proposition du conciliateur du Ministère du travail. Elle tient compte des attentes des uns et des autres et repose sur des compromis de part et d’autre. L’Université est satisfaite de cette nouvelle convention puisqu’elle constitue une étape vers une meilleure équité entre ses enseignants associés.
Confiante que vous voudrez bien vous assurer que ces rectifications soient apportées à l’information parue dans votre journal sous la plume de Pierre-André Normandin, je vous prie de recevoir mes salutations distinguées,
LISE DARVEAU-FOURNIER
Vice-rectrice aux ressources humaines
Le référendum suisse du 21 mai: le financement des universités et de la recherche
Le 21 mai, il s’est tenu deux référendums importants. On a beaucoup parlé de celui qui a mené le Monténégro à l'indépendance. L'autre, dont on a peu parlé, s'est déroulé en Suisse et nous paraît d'un plus grand intérêt pour l'évolution du fédéralisme, d'autant plus que les rapprochements des fédérations suisse et canadienne sont très instructifs au plan politique, économique, culturel. Les Suisses ont approuvé par une majorité de 86 %, et dans les 26 cantons, une modification à la Constitution qui vise à renforcer l'harmonisation des compétences en matière d'éducation et de formation entre les cantons et la Confédération, et à permettre à cette dernière d'intervenir directement dans les cas d'échec de la concertation inter-cantonale ou fédérale-cantonale. Le nouveau texte renforce la présence de la Confédération (le fédéral) en matière d'enseignement supérieur mais surtout de formation professionnelle. Les cantons conservent leur compétence de base en matière d'enseignement, du primaire à l'université (les dix grandes universités cantonales). Le fédéral conserve sa compétence constitutionnelle quant à la recherche scientifique et au financement des universités, bien encadrée par une loi fédérale sur l'aide aux universités et la coopération dans le domaine des hautes écoles (1999).
Le pouvoir fédéral de dépenser ne scandalise personne dans ce pays; il existe même en Suisse un Secrétariat (fédéral) d'État à l'éducation et à la recherche et d'autres institutions ou mécanismes de concertation et de collaboration entre les cantons et la Confédération. L'aide fédérale aux universités comprend une subvention de base, des contributions aux investissements, des contributions liées à divers projets, un programme fédéral d'égalité des chances, le programme fédéral Campus virtuel suisse, des projets de coopération interuniversitaire. À titre d'exemple, l'Université de Lausanne (10 000 étudiants) recevait, en 2004, 53,7 millions FS de subvention de base sur un budget de 289 716 558 FS. Quant à la recherche, elle est largement financée par la Confédération par le Fond national de la recherche scientifique et quatre académies nationales. Pourtant, l'Université de Lausanne relève du canton de Vaud.
La réforme constitutionnelle suisse de 2006 vient consolider une accentuation du fédéralisme coopératif dans un esprit qu'on a qualifié de «pragmatique». Il s'agit d'un fédéralisme d'ouverture, flexible, qui n'a pas peur de son ombre; les francophones, qui représentent 20,4 % de la population, ne semblent pas craindre d'être écrasés ou assimilés à la majorité alémanique (63,7 %). Cela contraste avec la tendance assez marquée au Québec à concevoir de façon rigide le partage des compétences et à dénoncer le pouvoir fédéral de dépenser comme une menace à l'intégrité de la culture québécoise (voir l'article de Michel Seymour et Guy Rocher, Le Devoir, 29-30 avril, 1er mai). Il s'agit de deux de nos vaches sacrées…
Les textes constitutionnels canadiens ne traitent pas explicitement ni du pouvoir fédéral de dépenser ni des compétences en matière d'enseignement supérieur ou de recherche scientifique. Quant au pouvoir de dépenser, il se fonde sur une pratique constitutionnelle vieille de 139 ans, ponctuée de nombreux textes législatifs dont les premiers se trouvent dans l'AANB même ou dans des accords fédéraux-provinciaux. La Cour suprême ne l'a d'ailleurs jamais désavoué. On peut dire aussi qu'il est constitutionnalisé par l'article 37 de la Constitution de 1982 par lequel le fédéral est «engagé» à faire les fameux paiements de péréquation pour assurer des «services publics» à un niveau de qualité et de fiscalité comparable. Or, les universités sont incontestablement des services publics. Les Pères de la Confédération canadienne l'ont, dès 1865, considéré comme naturel. Le pouvoir fédéral de dépenser est l'instrument par excellence de la redistribution de la richesse, une des raisons d'être du fédéralisme. Or, le redistributeur est le fédéral.
Pour ce qui est de la compétence exclusive en matière d'«éducation», énoncée à l'article 93 de la Constitution de 1867, l'ensemble de la jurisprudence l'a considéré, sauf dans un seul arrêt, comme se rapportant surtout au niveau primaire et secondaire. Au surplus, il n'a jamais été question de recherche scientifique. La présence du fédéral dans les universités et la recherche scientifique, par la péréquation et ses nombreux programmes, constitue-t-elle une impasse dont il faudrait se sortir? En quoi les universités francophones en Suisse sont-elle moins performantes et moins «culturellement francophones» parce qu'elles sont largement financées par la Confédération? Tout comme en Suisse, le moins que l'on puisse dire est que la compétence constitutionnelle globale en matière d'enseignement supérieur et de recherche scientifique est une compétence effectivement partagée; la Constitution incite à la concertation, rien de plus, rien de moins! À ceux qui craignent que la participation des universités du Québec à l'effort pancanadien de développement des universités et de la recherche scientifique ne conduise à l'assimilation, on doit répondre que, depuis que le fédéral participe à ce développement, jamais les universités québécoises n'ont cessé de progresser, de performer et de rayonner. La participation de nos universités à l'aventure canadienne a été bénéfique tant au plan financier qu'au plan culturel. Il y a cinquante ans (1956) faisait rage la bataille des «octrois fédéraux aux universités» (consultez Cité Libre et Le Devoir de l'époque). Si elle avait été gagnée par les autonomistes à la Duplessis, où en seraient nos universités et la recherche scientifique au Québec en 2006? On peut se le demander.
PATRICE GARANT
Professeur émérite de l’Université Laval (Faculté de droit)
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