
Thermomètre floral
La floraison du tussilage
survient un mois
plus tôt qu'il y a 80 ans
Les voyantes lisent l'avenir dans les feuilles de thé.
Claude Lavoie et Daniel Lachance, eux, lisent le passé
dans les fleurs printanières. Les deux chercheurs du Centre
de recherche en aménagement et développement viennent
de publier dans l'American Journal of Botany une étude
qui indique qu'une plante printanière appelée tussilage
fleurit maintenant entre 15 et 31 jours plus tôt que dans
les années 1920 dans le sud du Québec. Ils prennent
toutefois bien garde de faire porter l'entière responsabilité
de cette floraison hâtive sur les épaules du réchauffement
global.
La phénonologie - la science qui s'intéresse à
l'effet du climat sur les processus biologiques saisonniers comme
la floraison - se révèle un outil intéressant
pour étudier l'effet des changements climatiques sur les
plantes, signalent les deux chercheurs. Règle générale,
les informations phénologiques proviennent de personnes
qui, année après année, notent la date d'émergence
ou de floraison d'une espèce végétale dans
une région donnée. La rareté des statistiques
s'échelonnant sur de longues périodes, qui limite
la portée de cet outil, a conduit certains chercheurs
à recourir aux spécimens conservés dans
les herbiers. L'idée est séduisante, mais il y
a un hic: comment tenir compte du fait que le printemps n'arrive
pas au même moment partout lorsque le territoire considéré
est vaste?
Claude Lavoie et Daniel Lachance ont résolu le problème
en mettant au point une méthode de datation de la floraison
à l'aide de spécimens d'herbier de diverses provenances
géographiques. Leur méthode fait appel au lieu
et à la date de collecte ainsi qu'à la phénologie
de la fonte des neiges sur l'ensemble du territoire considéré
de même que dans la région où chaque plante
a été récoltée. "Notre méthode
équivaut à ramener tous les spécimens à
une même zone climatique, ce qui nous permet de comparer
les dates de floraison", résume Claude Lavoie.
Les chercheurs ont testé leur outil sur le tussilage,
une plante introduite au Québec dans les années
1910. "Plusieurs études ont montré que les
plantes printanières sont plus sensibles aux changements
climatiques que celles qui fleurissent en été ou
à l'automne, et le tussilage compte parmi les plus précoces
des plantes printanières québécoises",
précisent les chercheurs pour expliquer leur choix. Ils
ont ainsi établi que le tussilage fleurit maintenant jusqu'à
31 jours plus tôt maintenant qu'il y a 80 ans dans le sud
de la province. Une preuve de réchauffement global? "Pas
forcément, répond Claude Lavoie. Nous avons observé
que la différence provenait essentiellement des spécimens
récoltés dans les villes de Québec et de
Montréal. En régions, le tussilage ne semble pas
fleurir plus tôt. Il peut donc s'agir d'un effet thermique
urbain causé par la croissance de la population et par
l'abondance de béton. Nous ignorons dans quelle mesure
le réchauffement global contribue à cet effet urbain."
Malgré le potentiel qu'offre leur méthode, les
deux chercheurs lui reconnaissent une faiblesse: les données
récentes se font rares. "Depuis 20 ans, l'herborisation
est en baisse au Canada et aux États-Unis, constate Claude
Lavoie. Le niveau de récolte équivaut à
ce qu'on avait à la fin du 19e siècle." Ce
creux de vague a une incidence sur les études historiques
portant sur les plantes, souligne le chercheur. "Par exemple,
il n'existe pas suffisamment de spécimens de tussilage
récoltés dans les années 1990 et 2000 pour
tirer des conclusions sur les tendances récentes dans
la floraison de cette espèce. Conséquemment, notre
capacité de prédire l'impact des changements climatiques
sur la flore va en diminuant. Si la tendance se maintient, le
fossé entre la qualité des collections anciennes
et récentes va continuer à s'élargir."

|
|