
Le courrier
Lock-out des maîtres de langue
Monsieur Michel Pigeon
Recteur de Université Laval
Monsieur Pigeon,
Je m'appelle Fergus MacMilan et je suis inscrit au programme
de français langue seconde à votre université.
Je vous écris aujourd'hui pour vous exprimer ma désapprobation
concernant le lock-out des enseignants de français langue
seconde. Tout d'abord, permettez-moi de vous parler brièvement
de ma situation. Je suis étudiant en administration à
l'université de Northern British Columbia. Je ne fais
pas partie du programme EXPLORE (donc, c'est moi qui paie mes
frais de scolarité et non pas le gouvernement). Lorsque
j'ai décidé de venir étudier le français,
j'ai choisi l'Université Laval pour sa solide réputation.
Quand je suis arrivé, j'ai été surpris de
constater qu'il y avait des piqueteurs devant l'école.
J'étais en retard et j'ai rapidement demandé ce
qui se passait. On m'a répondu que des enseignants de
français langue seconde avaient été mis
en lock-out, mais ils m'ont vite encouragé à aller
assister à mon cours. Ceci a été la première
information que j'ai reçue de la grève et elle
venait des piqueteurs et non de l'université.
Au début, lorsque j'ai assisté à mon "cours",
on m'a dit que le lock-out n'affecterait pas le programme. C'était
faux. Voici la liste de mes plaintes.
Je n'ai reçu aucun avertissement du lock-out imminent.
Je pense qu'il a commencé la semaine dernière.
J'ai entendu dire qu'une possible perturbation quant au travail
des enseignants avait été planifiée au moins
deux semaines avant. Comment cela se fait-il que vous n'y étiez
pas préparé?
L'Université n'a jamais expliqué la situation aux
étudiants. Il y a eu des tentatives de réponses
à nos questions mais le niveau d'anglais n'était
pas assez élevé pour qu'on puisse comprendre.
J'ai perdu une semaine de cours.(Cependant, je pense que les
animateurs ont fait un travail superbe).
Je suis inquiet quant aux nouveaux professeurs. Comment seront-ils?
Je crois comprendre que l'Université essaie tant bien
que mal de trouver des professeurs et je suis inquiet aussi que
l'Université baisse ses critères d'embauche pour
résoudre les problèmes de personnel. Je crains
que des professeurs inexpérimentés et sous qualifiés
ne soient engagés et que le nombre d'étudiants
par classe soit plus élevé.
En terminant, je voudrais préciser que toute cette situation
a été menée de façon médiocre.
Comme je ne parle pas français ni ne le lis couramment,
je ne comprends pas véritablement les enjeux. Mais ce
que je comprends, c'est que j'ai manqué une semaine de
cours, ce qui requerra plus de travail dans les semaines qui
vont suivre. Je ne recevrai probablement pas la même qualité
de cours que les étudiants des années précédentes.
De plus, le moment et les renseignements donnés au sujet
de ce conflit de travail (sur lequel l'Université a le
contrôle), ont été mal choisis et menés
de façon maladroite.
À tout le moins, un courriel devrait être envoyé
aux étudiants, en anglais, pour expliquer la situation
de façon convenable. Quand on me demandera ce que je pense
de Québec, Je dirai "La ville de Québec est
merveilleuse". Je ne sais si je serai capable d'en dire
autant de l'Université Laval.
Bien à vous,
FERGUS MACMILLAN
Étudiant inscrit au programme
de français langue seconde
Maurice Lebel l'éveilleur
Il ne restait plus beaucoup de collègues de sa génération
aux funérailles du professeur Maurice Lebel, à
la fin d'avril: mourir à 96 ans - et quatre mois, aurait
insisté monsieur Lebel de ses yeux rieurs s'il m'avait
entendu, tant il est vrai qu'à un certain âge, chaque
instant est précieux mourir à 96 ans et quatre
mois, donc, implique que les rangs se sont dispersés autour
de soi. Mais le souvenir d'une vie tout entière consacrée
aux études, lui, ne se perd pas. Dans l'église
de Québec où on rendait hommage à cet éminent
professeur, cet homme de foi et de conviction, beaucoup d'anciens
étudiants, beaucoup de professeurs de la Faculté
des lettres et de l'Université Laval étaient là
pour honorer sa mémoire.
Maurice Lebel est parti sans faire de bruit. Quinze jours avant
sa mort, il vivait encore dans sa grande maison, seul avec ses
livres et bien entouré de gens qui le respectaient et
qui l'aimaient. Tout cela s'est fait bien vite. Les centaines
et les centaines d'étudiants qui ont suivi ses cours de
grec, qu'il a formés et conseillés, connaîtront
trop tard la nouvelle de son décès; ils regretteront
de ne pas l'avoir su à temps. Ses lecteurs aussi et tous
ces gens qui ont assisté, au cours des années,
aux multiples conférences qu'il n'a cessé de donner
depuis 1938, année de son arrivée comme jeune professeur
à l'Université Laval.
À sa manière, Maurice Lebel fut un bâtisseur
de l'université nouvelle. Il entreprend sa carrière
au moment où une nouvelle faculté vient d'être
créée: la Faculté des lettres succède
à l'École normale supérieure. On entend
passer d'une institution vouée à la seule préparation
des professeurs de collèges à une autre qui se
souciera aussi de former de véritables universitaires,
compétents et ouverts sur le monde, préparés
à créer des connaissances nouvelles et à
en faire profiter toute la société. Le mouvement
est lancé: c'est alors que commencent à arriver
les Luc Lacourcière et les Jean Lechevalier, les Félix-Antoine
Savard, Jeanne Lapointe, Marcel Trudel; avec ces personnages
s'instaure une tradition intellectuelle qui marquera vivement
le milieu du siècle, au Québec et ailleurs.
Monsieur Lebel embrassera avec enthousiasme cette cause nouvelle.
Avec son doctorat londonien en poche et, sur ses légendaires
carnets de notes, les noms de dizaines et de dizaines de savants
qu'il a côtoyés à Londres, à Paris,
à Athènes, il se met à la tâche. Le
grec, bien sûr, sera son premier souci. La Faculté
des arts et les collèges lui envoient leurs professeurs,
lui-même appuie leurs efforts pour renouveler l'enseignement
des études classiques; il publie, il donne des conférences,
il est présent partout, si bien qu'en peu de temps son
action porte fruit: un vent de fraîcheur se répand
dans les collèges classiques, un renouveau auquel est
associé le nom de Maurice Lebel. Il devient la référence.
Sa notoriété ne tient pas qu'à son érudition.
Durant ses études, il avait parcouru plusieurs pays d'Europe
avec un enthousiasme et une curiosité vive dont il ne
s'est jamais départi. Il parle abondamment d'une Grèce
qui n'a rien de théorique ou de livresque: il l'a parcourue
à pied, il sait décrire concrètement une
acropole qu'il a vue, une plaine de Marathon qu'il a marchée.
Combien d'étudiants verront naître à son
contact le désir de partir, d'aller voir ailleurs. Et
de revenir, comme lui, doctorat en poche. Car l'un de ses soucis
sera toujours de stimuler les étudiants, de les convaincre
qu'il ne faut pas craindre de se hisser au rang des meilleurs.
Il les met en contact avec des collègues des meilleures
universités, il leur fournit de solides lettres de recommandation,
et va même jusqu'à aménager pour eux le rendez-vous
qui leur procurera la bourse dont ils auront besoin!
À la Faculté, les projets sont ambitieux: on veut
développer, dans toutes les disciplines, un enseignement
de très haute qualité. Les professeurs, hélas,
ne sont pas très nombreux. Qu'à cela ne tienne,
ceux qui sont en place se multiplieront pour combler les lacunes.
C'est ainsi que Maurice Lebel, devenu secrétaire de la
Faculté, fait intervenir les connaissances qu'il a acquises
pour enseigner tout aussi bien le grec que la littérature
anglaise, la poésie, la rédaction française
et combien d'autres sujets! Il le fait avec brio, tout en dirigeant
les premiers étudiants qui déposeront leurs thèses
doctorales sous sa direction.
Esprit universel, doté d'un intérêt immense
pour tous les savoirs du monde, le professeur Lebel publiera
abondamment, et même jusqu'au dernier moment. Là
encore, aucun domaine n'était étranger à
cet humaniste; il embrasse large, il veut faire connaître
les objets de ses multiples coups de cur, il entend communiquer
sa flamme.
Une telle carrière n'est toutefois pas sans embûches:
Pic de la Mirandole aurait eu de la difficulté à
maîtriser le savoir universel s'il avait vécu au
milieu du XXe siècle On a parfois reproché à
cet homme de feu de se disperser. Mais tout était à
faire, peu nombreux étaient les maîtres, mince encore
était la tradition intellectuelle dans nos murs. C'est
tout à l'honneur de cet érudit d'avoir consenti
à se laisser parfois distraire de ses orientations premières
pour se mettre au service des étudiants et des études
nouvelles.
Respecté de tous, reconnu comme un intellectuel de grande
classe et couvert d'honneurs, monsieur Lebel décida un
jour de prendre sa retraite. C'était en 1972. Nous étions
tous surpris d'une telle décision car il était
bien jeune encore, nous paraissait-il. Sa décision était
finale: il désirait se consacrer à ses travaux,
tout en restant en contact avec ses collègues et ses étudiants.
Et lui qui entretenait une vaste correspondance avec ses pairs
partout dans le monde, il pourrait maintenant contribuer d'une
autre manière au devenir de ses chères études.
De fait, on peut croire que ce pionnier était un peu las.
Pas du tout désenchanté jamais il ne le fut
-, mais de moins en moins à l'aise dans l'université
nouvelle qu'il avait tant contribué à créer.
Il était un homme d'études, l'avenir était
aux chercheurs. Dur coup pour un homme comme lui de constater
qu'il y avait de moins en moins de place pour la longue réflexion,
l'étude longtemps préparée qui permettrait
à un sage de léguer le grand oeuvre d'une vie.
C'en était fini de l'ère où les maîtres
avaient pour mission de penser sans qu'on leur demande de compte.
Les études des humanistes devaient maintenant céder
la place à la recherche; pour être valable, et surtout
subventionné, l'objet de la réflexion devait être
saucissonné en tranches courtes et donner lieu à
une publication pointue. Comme la chose se faisait en sciences.
Il n'est pas faux de croire que monsieur Lebel, formé
auprès des grands maîtres européens, a préféré
rester un homme d'études. Durant ces longues années
de retraite, il a fréquenté la bibliothèque
de l'Université Laval avec une assiduité exemplaire.
On l'y retrouvait, on avait plaisir à discuter avec lui
qui avait un savoir encyclopédique presque démesuré
et qui, mieux que personne, pouvait donner des indications bibliographiques
qui nous seraient restées étrangères sans
lui. Les étudiants le reconnaissaient, cet homme dont
ils avaient abondamment entendu parler par leurs professeurs;
avec parfois un moment d'hésitation, ils osaient s'en
approcher, lui demander conseil, lui demander même de leur
parler de sa carrière. Rien ne lui faisait davantage plaisir
que ces rencontres imprévues: rendre service, contribuer
à éveiller les étudiants à la vie
intellectuelle fut l'entreprise de toute sa longue vie.
Merci, Monsieur Lebel, pour ce que vous avez été
pour nous tous. Nous ne vous oublierons pas.
JACQUES DESAUTELS
Professeur retraité et ancien doyen de la Faculté
des lettres
Hommage à Mircea Steriade
Nous avons appris avec beaucoup de tristesse que le Dr Mircea
Steriade, l'un des plus grands chercheurs canadiens en neurosciences,
est décédé le 14 avril à l'Hôpital
général de Montréal à l'âge
de 81 ans.
Mircea Steriade est né à Bucarest, en Roumanie,
le 20 août 1924. Il obtint son diplôme de M.D. de
la Faculté de médecine de Bucarest en 1952 et son
diplôme de docteur ès sciences médicales
(Ph.D.) de l'Institut de neurologie de l'Académie des
sciences de Bucarest en 1955. Sa thèse de doctorat portait
sur les relations cérebello-corticales chez le chien et
le chat. Tel que mentionné par le professeur Steriade
en de multiples occasions, son véritable maître
fut le professeur Frédéric Bremer qui l'accueillit
dans son laboratoire à Bruxelles en 1957-1958. De retour
en Roumanie, il est nommé directeur du laboratoire de
neurophysiologie de l'Institut de neurologie de Bucarest, poste
qu'il occupa de 1958 à 1968. Du 1er décembre 1968
jusqu'à sa mort, le Dr Steriade fut membre successivement
du Département de physiologie (jusqu'en mars 1997) et
du Département d'anatomie et de physiologie de l'Université
Laval. Il fut promu professeur titulaire en 1969.
Le professeur Mircea Steriade est le pionnier des études
modernes des bases cellulaires de l'électroencéphalogramme.
Il a identifié les réseaux neuronaux et les propriétés
des cellules du système thalamocortical qui sont impliqués
dans la production des rythmes cérébraux normaux
pendant les différents états de vigilance et les
différents types de convulsions électriques. Il
fut, entre autres, le premier à démontrer le rôle
majeur du noyau réticulaire du thalamus dans la génération
des fuseaux du sommeil. Au début des années 1990,
il découvrait un nouveau type de rythme durant le sommeil,
l'oscillation lente générée dans le cortex
cérébral. Ses derniers travaux de recherche visaient
à comprendre les mécanismes de la plasticité
neuronale à court terme.
Il était médaillé Claude Bernard de l'Université
de Paris, titulaire du Distinguished Scientist Award de la Sleep
Research Society, du Prix Marie-Victorin du Québec, du
Pierre Gloor Award de l'American Society for Clinical Neurophysiology
et du Prix du mérite académique de l'Académie
des sciences médicales de Roumanie. Il était également
membre d'honneur de la Société de neurologie de
Paris, membre de la Société royale du Canada et
éditeur en chef de la revue Thalamus and Related Systems.
Il était l'auteur de plus de 400 articles scientifiques,
dont 12 livres. Plusieurs de ses travaux scientifiques sont des
classiques et ont été cités des milliers
de fois. Il a transmis sa rigueur scientifique, son intégrité
et sa soif de connaissances à ses étudiants de
2e et de 3e cycles et à ses stagiaires postdoctoraux,
la plupart occupant aujourd'hui des postes de professeur dans
des universités canadiennes, américaines ou européennes.
Trois d'entre eux sont actuellement professeurs au Département
d'anatomie et de physiologie: Martin Deschênes, Florin
Amzica et Igor Timofeev.
La personnalité remarquable du professeur Mircea Steriade
restera toujours gravée dans la mémoire de ses
collègues et de ses élèves. Nous offrons
à sa femme, Jacqueline Verreault, à ses filles
Donca et Claude et aux membres de sa famille nos plus sincères
condoléances.
IGOR TIMOFEEV
Professeur au Département d'anatomie et de physiologie
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