
Cerfminator
En matière d'alimentation, le chevreuil
ne fait pas la fine gueule
On savait qu'il avait déjà dévoré
une bonne partie des jeunes sapins, arbustes et plantes de sous-bois
d'Anticosti. On le savait aussi amateur de produits végétaux
offerts par les forêts naturelles, les plantations d'arbres,
les vergers, les jardins et les plates-bandes. Voilà que
l'on apprend que le cerf de Virginie assouvit ses pulsions gourmandes
jusque dans les champs de foin et les tourbières. Coup
sur coup, deux équipes associées au Département
de biologie et au Centre d'études nordiques viennent de
documenter l'impact du chevreuil sur ces deux habitats non traditionnels.
Dans un récent numéro de la revue Wildlife Bulletin
Society, Marie-Claude Richer, Jean-Pierre Ouellette, Line
Lapointe, Michel Crête et Jean Huot rapportent que le broutage
du cerf pendant la période allant d'octobre à mai
occasionne une baisse de production de 14 % de la récolte
de foin dans l'année qui suit. Une fois attablés
dans les champs, les chevreuils ne font pas la fine bouche: trèfle,
luzerne, graminées, tout y passe. Pour établir
l'ampleur des pertes, les chercheurs ont comparé la production
végétale à l'intérieur d'exclos installés
dans huit champs de foin de l'Estrie à celle de sites
adjacents auxquels les cerfs avaient libre accès depuis
l'automne jusqu'au printemps. "Comme nous avons sélectionné
des champs situés à proximité de boisés
fréquentés par des cerfs, notre estimé des
pertes ne peut être extrapolé à l'ensemble
du sud du Québec, préviennent toutefois les chercheurs.
Chaque champ est un cas particulier." On devine que la situation
n'enchante pas les producteurs agricoles de l'Estrie. "Augmenter
la récolte de chevreuils constitue sans doute la meilleure
façon de limiter les dégâts", avancent
les chercheurs.
Pour leur part, Stéphanie Pellerin, Jean Huot et Steeve
Côté ont comparé la végétation
de cinq tourbières fréquentées par le cerf
sur l'île d'Anticosti à celle de cinq tourbières
situées sur deux îles de l'archipel Mingan où
aucun cerf n'a jamais posé la patte. Le broutage des cerfs
entraîne une diminution de la diversité végétale
et une baisse de la production de chicouté. Dans certains
types de tourbières, la présence du cerf réduit
l'abondance des lichens et favorise une augmentation des surfaces
dépourvues de couvert végétal. Les hautes
densités de chevreuils qui prévalent dans les tourbières
d'Anticosti ont des effets négatifs sur l'intégrité
écologique des tourbières, concluent les chercheurs.
Ceci pose un problème au plan de la conservation puisque
35 % des aires protégées d'Anticosti sont des tourbières.
En 2001, les tourbières de l'île représentaient
même 65 % de la superficie totale de tourbières
protégées au Québec. "Il faudrait assurer
un suivi de la composition floristique des tourbières
d'Anticosti et, au besoin, envisager des actions comme l'installation
de clôtures et la réduction des densités
de cerfs", proposent les chercheurs dans l'article qu'ils
publient sur la question dans un récent numéro
de Biological Conservation.

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