
Le grand écart
La discrimination en emploi existe encore
au Québec
Pour savoir ce que pense votre entourage de la discrimination
en emploi, faites une expérience toute simple: demandez
aux personnes si le problème existe et écoutez
bien leur réponse. Dans la majorité des cas, il
est fort probable que les participants à votre petite
enquête répondront par la négative. "Les
gens en ont assez d'entendre parler de discrimination et s'imaginent
à tort que la question est réglée. Pourtant,
la situation vécue par les groupes discriminés
dans les milieux de travail laisse encore place à de grandes
améliorations", estime Esther Déom, professeure
au Département des relations industrielles et coordonnatrice
du 61e Congrès en relations industrielles dont le thème
était "La discrimination en emploi: quels moyens
faut-il prendre?"
Si l'entrée en vigueur au Québec en 1997 de la
Loi sur l'équité salariale a marqué
une étape importante dans la lutte contre la discrimination
salariale faite aux travailleuses, l'application du principe
"À travail équivalent, salaire égal"
est encore loin d'être réalisée, ont affirmé
de façon presque unanime les participants à ce
congrès annuel qui a eu lieu récemment à
Québec. Lise Simard, conseillère en équité
salariale au Syndicat canadien de la fonction publique, a ainsi
expliqué que les premières années de la
mise en uvre de la loi n'avaient pas été faciles,
la loi ayant suscité beaucoup de réserve et d'incrédulité
chez les employeurs, sans parler des discussions enflammées
au sein des organisations syndicales.
"Ce droit nouveau heurtait de plein fouet les traditions
et les pratiques syndicales, en ce qui a trait à la détermination
et la condition de la rémunération, a précisé
Lise Simard. Du fait qu'il s'agissait d'une loi, il a été
difficile pour les employeurs de s'afficher ouvertement contre
l'équité salariale. Mais les employeurs avaient
aussi l'obligation de maintenir l'équité salariale
prévue dans la Loi. Alors là, on a eu droit à
du négativisme. Certains employeurs voyaient la réalisation
de l'équité salariale comme une mauvaise période
à passer et ensuite, qu'on n'en parlerait plus!"
Le salaire de la différence
Que ce soit dans les secteurs public et parapublic ou dans
le privé, les femmes continuent d'afficher un salaire
moins élevé que les hommes, a révélé
Lucie-France Dagenais, chercheuse à la Commission des
droits de la personne. Par exemple, dans le secteur public, catégorie
personnel de bureau, où les femmes prédominent,
le salaire moyen des femmes s'élève à 22
835 $, tandis que celui des hommes se situe à 23 937 $.
Au parapublic, les travailleuses en garderie gagnent moins que
les techniciens qui s'occupent de machineries coûteuses.
Dans le domaine de l'enseignement, autre secteur à prédominance
féminine, le salaire moyen des hommes reste un peu plus
élevé. Dans l'ensemble du marché du travail,
l'écart entre le revenu moyen des hommes et des femmes
est de 26 % en défaveur des femmes.
La situation des immigrants n'est guère plus reluisante.
Dans le secteur manufacturier, leur salaire serait ainsi de 11
000 $ inférieur à celui des Québécois
de souche. Même discrimination du côté des
immigrants possédant un diplôme universitaire. Selon
un portrait statistique de la population d'origine africaine
développé par le ministère de l'Immigration
et des Communauté culturelles, les Africains détiendraient
le triste record des universitaires qualifiés sans emploi
au Québec. En 2001, sur les 48 720 personnes d'origine
africaine vivant au Québec, 24 % avaient au moins un diplôme
universitaire, pour 14 % des Québécois. Le taux
de chômage des Africains s'établissait à
21 % comparativement à 8% pour l'ensemble de la population
québécoise. Quant à leur revenu moyen, il
était de 18 500 $ comparativement à 27 000 $ chez
les Québécois.
Où s'arrêtera la discrimination? Selon une étude
du Conseil du statut de la femme publiée en 2005, les
femmes des minorités visibles immigrées travaillant
dans l'industrie manufacturière gagnaient en moyenne 12
% de moins que le revenu total moyen des femmes immigrées
et presque 20 % de moins du revenu des Québécoises
oeuvrant dans ce même secteur.
"Malgré le corpus juridique impressionnant développé
au Québec et plusieurs avancées en matière
de lutte aux multiples expressions de la discrimination, l'accès
à l'égalité reste un objectif à atteindre
dans notre société, constate Louise Chabot, vice-présidente
de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). L'atteinte
de l'égalité nécessite une direction politique
et une mobilisation sociale constante afin de traduire ce principe
non seulement dans des règles juridiques mais aussi dans
des politiques spécifiques. Car comme on peut le voir,
les acquis juridiques ne se traduisent pas toujours par les changements
escomptés."

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