
Courrier
Pas de centre de formation sans information
Le projet d'épicerie-école Sobeys sur le campus
de l'Université Laval a suscité de vives réactions,
tant de ses partisans que de ses détracteurs. Voici un
bref portrait: un supermarché d'apparence ordinaire sur
un site qui ne l'est pas, dissimulant un laboratoire grandeur
nature où étudiants et chercheurs se rencontrent
pour étudier les comportements de consommateurs en quête
de produits alimentaires. Les membres de la Confédération
des associations d'étudiants et d'étudiantes de
l'Université Laval (CADEUL) ont décidé de
s'opposer au projet dans sa forme actuelle, et ce, pour plusieurs
raisons: des informations précises et un débat
manquent, l'indépendance de l'Université semble
incertaine et la préservation de son image est trop précaire.
Nous déplorons le peu d'informations transmises à
la communauté universitaire. Les administrateurs de l'Université
Laval eux-mêmes ont jugé qu'un document explicatif
de quelques pages ne saurait cautionner le principe d'un projet
d'une telle ampleur. Ce flou, qui ne sert personne, ne fait qu'attiser
la méfiance que tous ont envers lui. De plus, ce flou
empêche la présence d'un débat réellement
fécond.
Nous croyons que l'Université Laval doit demeurer extrêmement
vigilante devant les différentes formes de partenariat
avec le privé. Ces partenariats ne sont pas nouveaux et
ont maintes fois contribué, par le passé, à
soutenir l'effort de recherche d'une Université Laval
sous-financée. Les promoteurs du projet font valoir le
caractère novateur de ce magasin-école et, en effet,
ce serait bel et bien la première fois qu'une entreprise
privée un magasin! élirait domicile
sur les terrains bien situés d'une université en
échange de subventions à la recherche. Est-ce le
message que l'Université Laval veut véhiculer,
celui d'une université pliant devant les conditions exigées
par quelque diktat de l'industrie? Une université qui,
pour quelques deniers, se prête au jeu du marché
en permettant à une organisation désireuse de rentabilité
d'utiliser un site stratégique? En fait, l'Université
ne devrait en aucun cas avoir à "négocier"
avec une entreprise privée sur des sujets touchant ses
domaines de compétence, soit l'enseignement et la recherche.
Nous avons à cur l'Université Laval, sa mission
et ses valeurs, c'est pourquoi nous nous inquiétons de
ses dérives. Il en va de sa crédibilité
et de son image, autant vis-à-vis de ses étudiantes
et étudiants que de ses professeurs et professeures, du
public et des autres établissements de recherche. Si l'administration
universitaire souhaite réellement modifier la mission
première de l'Université, elle doit en débattre
avec tous les acteurs de la communauté universitaire.
Nous attendons un processus plus transparent où les informations
sont accessibles. Nous attendons que l'indépendance de
l'Université Laval et le respect de ses compétences
soient garantis. Nous attendons la preuve que la construction
d'un supermarché-école sur notre campus, où
représentants de Sobeys et chercheurs se côtoieraient,
contribue à "l'avancement et au "partage"
de connaissances". En attendant tout ceci, ce projet est
inacceptable.
NICOLAS FONTAINE
Président de la CADEUL
Pourquoi les fumeurs n'ont pas le droit de fumer en public?
Pendant le débat suscité par l'élaboration
et la mise en application de la loi no 112 pour éliminer
la fumée de tabac des bars et restaurants, les aspects
reliés à l'éthique et aux libertés
individuelles ont été fortement médiatisés.
Financés par les manufacturiers canadiens du tabac, des
organismes ont protesté contre une loi qui leur semble
brimer la liberté des fumeurs. Le premier à monter
aux barricades a été le regroupement d'abonnés
au site internet Monchoix (www.monchoix.ca). Ce groupe présente
la loi 112 comme une nouvelle persécution des fumeurs
rappelant l'Inquisition. Le gouvernement y est caricaturé
comme une dictature souhaitant réglementer tous les secteurs
de la vie privée des citoyens. La nouvelle loi ne constituerait
que l'avant-garde d'un ensemble de réglementations tyranniques
visant à définir ce qui est acceptable et ce qui
ne l'est plus. Du débat fort médiatisé,
tout l'aspect toxicologique de l'exposition passive à
la fumée de tabac est passé sous silence, les média
considérant peut-être qu'il ne reste rien de neuf
à apprendre au sujet de la nocivité de la fumée
de tabac. Les manufacturiers de cigarettes poussent une argumentation
qui fait table rase de toutes les connaissances disponibles sur
la toxicologie de la fumée de tabac. Les mêmes propos
ignorants sont colportés par le site Monchoix.ca. Cette
manipulation par les manufacturiers n'est pas unique au Québec
puisqu'on la met en oeuvre dans tout pays souhaitant se doter
d'une loi similaire à la loi 112.
On associe le tabagisme à de nombreuses maladies dont
les cancers, les maladies pulmonaires obstructives chroniques
et les maladies cardiovasculaires. Ici, je m'en tiendrai aux
cancers. Mes arguments fondés sur la toxicologie permettront
de mieux comprendre la justification de cette loi visant à
prévenir les maladies provoquées par la fréquentation
des bars et des restaurants enfumés. Les principes discutés
ici ne s'appliquent pas nécessairement aux autres maladies
associées au tabagisme.
Les gens qui fréquentent les bars et restaurants enfumés
respirent ce qu'on appelle la fumée secondaire de tabac.
Cette fumée se dégage de la cigarette entre les
bouffées inspirées par les fumeurs. Au plan de
sa composition chimique, elle ressemble à la fumée
principale aspirée par les fumeurs; les deux types de
fumée, contiennent donc les mêmes agents causant
le cancer. Une vingtaine de ces substances peuvent déclencher
des cancers du poumon. Pour les scientifiques qui font de la
recherche sur le cancer, il n'est pas surprenant que l'exposition
à la fumée de tabac dans les bars et restaurants,
provoque le cancer pulmonaire chez les non-fumeurs. Or, la nocivité
de la fumée secondaire a longtemps été niée
publiquement par les manufacturiers de cigarettes. Ces derniers
se sont également acharnés à masquer la
fumée secondaire en diminuant sa perception visuelle et
olfactive.
En cancérologie, il n'y a pas d'exposition trop petite
pour ne pas avoir d'effet sur l'induction et la croissance des
cancers : c'est ce qu'on appelle l'effet seuil. Une seule molécule
d'un cancérogène du tabac peut causer un dommage,
une lésion à l'ADN (matériel des gènes).
Ainsi, la vaste majorité des cancers qui tuent les fumeurs
résultent de dommages à l'ADN causés par
des cancérogènes présents dans la fumée
de tabac. Cette conclusion s'applique tout autant aux Québécois
qui fréquentent les bars et restaurants enfumés.
Dans certaines circonstances, ces dommages des gènes sont
permanents et dureront pendant toute la vie des exposés.
Sur plusieurs décennies de recherche, on a aussi établi
que plusieurs lésions à l'ADN sont requises avant
que la cellule ne devienne cancéreuse. Ces connaissances
montrent bien qu'il est irrationnel de minimiser, comme l'ont
fait les manufacturiers de cigarettes, l'effet des expositions
aux cancérogènes du tabac ou de la présenter
comme insignifiante en regard des autres cancérogènes
de l'environnement, comme les gaz d'échappement des automobiles,
par exemple.
Les connaissances acquises aident à comprendre comment
la fumée de cigarette induit des cancers chez les non-fumeurs
exposés à la fumée des autres. L'absence
d'effet seuil explique pourquoi fumer quelques cigarettes n'est
pas sans risque. Le risque grandit avec les nombres de cigarettes
et d'années de consommation de cigarettes. Au fil des
ans, les lésions à l'ADN, qu'elles soient provoquées
par la fumée de cigarette ou d'autres cancérogènes,
s'accumulent pour atteindre le nombre critique capable d'induire
la croissance d'un cancer. La fumée des bars et restaurants
endommage l'ADN de leur clientèle et de leurs salariés.
Considérant les similarités des fumées primaires
et secondaires, fréquenter des bars et des restaurants
où on fume équivaut à fumer des cigarettes.
Sortir des ces endroits est beaucoup plus que d'avoir les yeux
irrités et des vêtements nauséabonds.
Les arguties des manufacturiers de cigarettes et du site
internet Monchoix.ca ne tiennent pas la route. En toxicologie
humaine, on n'accepte l'exposition à un agent toxique
qu'à la condition que ses effets, apportent un bénéfice
significatif qui excède sa toxicité. Par exemple,
on traite certains cancers avec des médicaments très
toxiques parce qu'ils ont la propriété de sauver
ou prolonger la vie des malades. À l'inverse, l'aspirine,
administrée en cas de maux de tête, est très
peu toxique. La fumée de tabac est un mélange de
substances très toxiques sans aucun bénéfice
connu malgré des efforts intenses de recherche par les
manufacturiers de cigarettes pour en trouver. C'est ainsi que
la communauté scientifique a cru pendant longtemps que
le tabagisme retardait l'apparition et le développement
de la maladie d'Alzheimer. La fausseté de cette croyance
a été récemment établie par des collègues
de la Faculté de pharmacie de l'Université Laval.
Donc, le tabagisme n'a pas le moindre effet bénéfique.
En vertu du principe qu'on a énoncé plus haut,
la fumée de tabac ne devrait donc comporter aucune toxicité
et son risque de provoquer le cancer devrait être nul.
Très étrangement, la fumée de tabac, y compris
celle qu'on trouve dans les bars et restaurants est un mélange
des substances des plus toxiques. La seule présence des
cigarettes sur le marché contredit les principes de la
toxicologie humaine et viole l'esprit et la lettre de la réglementation
des substances toxiques dans notre pays.
Selon le principe de proportionnalité de l'exposition
aux cancérogènes aux risques de cancer, l'introduction
d'un système de ventilation dans les bars et les restaurants
devrait diminuer l'exposition à la fumée des autres
et réduire les risques qui y sont associés. Malheureusement,
l'installation de tels systèmes, tout comme les aires
réservées aux fumeurs se sont avérées
insuffisantes pour protéger les gens. Des scientifiques
américains ont démontré, sans l'ombre d'un
doute, que ces mesures ne protégeaient pas les travailleurs
et les non-fumeurs clients de ces commerces. Pour contrer ces
constatations, les manufacturiers de cigarettes se sont improvisés
experts en ventilation avec nul autre objectif d'alimenter
une controverse sur l'efficacité des systèmes de
ventilation. À ce sujet, les représentations que
le site Monchoix.ca suggère à ses membres d'acheminer
aux députés et ministres de l'Assemblée
Nationale sont totalement erronées.
Pour conclure, le gouvernement du Québec, en mettant en
uvre la loi 112, tient un juste compte des principes de la toxicologie
humaine et met en vigueur des mesures capables d'assurer la protection
de la santé publique. Le site Monchoix.ca caricature les
fumeurs comme des victimes de cette nouvelle loi. En réalité,
la loi vise plutôt à protéger les non-fumeurs
qui, eux, sont les vraies victimes de l'air ambiant contaminé
par les fumeurs.
ANDRÉ CASTONGUAY
Ph. D, professeur titulaire à la
Faculté de Pharmacie
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