Sujet, verbe, complément
Du littéraire au cinématographique,
le pas est parfois difficile à franchir
"Le livre est bien meilleur que le film!" Voilà
le genre de commentaire qu'on entend souvent à la sortie
du cinéma. En effet, on peut avoir aimé un roman
et être déçu par l'adaptation cinématographique
qui en a résulté. Comme le dit Esther Pelletier,
professeure de cinéma au Département des littératures,
il y a des choses que la littérature réussit mieux
que le cinéma, l'inverse étant également
vrai. "Le littéraire exprime davantage d'abstractions
que le cinéma et le défi du scénariste consiste
à montrer à l'écran ces mêmes abstractions",
a souligné Esther Pelletier, qui a donné une conférence
sur le thème "Du livre à l'écran, les
dessous de l'adaptation cinématographique", le 27
avril, à la Bibliothèque.
Des exemples d'adaptations réussies? Pensons au film d'Anthony
Minghella, Le Patient anglais, gagnant de neuf oscars
en 1997, d'après le roman de Michaël Ondaatje, lui-même
gagnant du Booker Prize, en 1992, pour cette histoire d'amour
qui se déroule en 1945. Le visage défiguré
et le corps couvert de brûlures, un homme raconte par fragments
sa vie à l'infirmière qui le soigne. À lui
seul, le roman aurait pu faire l'objet de trois ou quatre films
mais le scénariste a fait des choix, comme de faire passer
au second plan des personnages qui jouaient pourtant un rôle
important dans l'oeuvre littéraire. Alors que les retours
en arrière sont fréquents dans le roman et sèment
parfois le lecteur, le film a été remanié
de façon à ce que le spectateur s'y retrouve sans
problème, tout en ne perdant rien de l'oeuvre originale.
Simplifiez, simplifiez
"Au cinéma, il faut aller à l'essentiel
et éliminer le superflu, explique Esther Pelletier. Le
scénariste doit procéder au nettoyage de tout ce
qui n'est pas nécessaire à la compréhension
du film. Et si le romancier peut se permettre d'écrire
des pages et des pages sur, par exemple, les états d'âme
d'un homme qui marche dans la tempête et qui a hâte
de rentrer chez lui, le cinéaste, lui, doit aller droit
au but. Dans l'écriture d'un scénario, il y a un
sujet, un verbe, un complément." Enfin, si la littérature
a la possibilité de nous faire entrer dans la peau des
êtres et d'explorer une infinité de facettes de
leur univers, le cinéma peut nous dévoiler un personnage
dans son entièreté en deux temps trois mouvements
à travers un seul geste, un tic ou une habitude.
Il arrive que des oeuvres littéraires soient tellement denses
que leur adaptation cinématographique est une entreprise
presque suicidaire pour le cinéaste qui plonge tête
première dans l'aventure, de souligner Esther Pelletier.
Ainsi, en s'attaquant à une oeuvre quasi mythique de la
littérature française comme Du côté
de chez Swann de Marcel Proust, ce qui a donné le
film Un amour de Swann (1984), l'allemand Volker Schlöndorff
s'est planté en faisant ce qu'aucun Français n'aurait
osé faire, croit Esther Pelletier. De même, on peut
être un excellent écrivain, auteur ou dramaturge
mais se révéler un piètre scénariste
comme c'est le cas pour Michel Tremblay, dont les séries
sont "d'un ennui mortel", estime la conférencière.
"Écrire un scénario exige beaucoup, beaucoup
de travail, qu'il soit tiré d'une oeuvre littéraire
ou non, affirme Esther Pelletier. Certains apprennent sur le
tas, comme Fabienne Larouche, auteure de séries à
succès comme Fortier et Virginie, tandis
que d'autres passent par des écoles. Mais il est certain
que les films québécois sont de plus en plus peaufinés.
Dans cet esprit, un film comme Le déclin de l'empire
américain de Denys Arcand marque une étape
importante dans l'histoire du cinéma québécois,
car il est l'aboutissement de quatre ou cinq scénarios.
Le scénario en est extrêmement travaillé,
avec les résultats que l'on sait."
|
|