Tournée triomphale en Russie Le baryton-basse Michel Ducharme y fait connaître, en les interprétant avec brio, des oeuvres vocales de compositeurs mis au ban par le régime soviétique Lorsqu'il a pris l'avion pour Moscou, le 15 mars dernier, le baryton-basse Michel Ducharme, professeur de chant à la Faculté de musique, s'en allait relever tout un défi. En quinze jours, il devait donner dans la capitale russe un concert officiel, un récital-conférence et une prestation publique. De plus, il devait se rendre à Saint-Pétersbourg, à plusieurs centaines de kilomètres de là, pour donner un autre concert officiel. Pourtant, son voyage ne constituait pas qu'une épreuve d'endurance. Sur scène, il devait rendre devant un public averti et exigeant, et dans une langue impeccable, toute la richesse contenue dans des oeuvres vocales de trois compositeurs russes du début du 20e siècle, dont deux faisaient partie de l'avant-garde. Ces auteurs sont presque inconnus, encore aujourd'hui, dans leur pays d'origine. Après 1918 ils ont subi, en raison de leur non-conformisme et de manière dramatique, les contrecoups de la Révolution russe. L'un d'eux, Ivan Wyschnegradsky, a fui son pays dans les années 1920 et sa musique n'a presque jamais été jouée jusqu'à sa mort.
"Je voulais bien humblement faire connaître au public russe trois compositeurs que j'aime beaucoup, soit Wyschnegradsky, Nikolaï Roslavets et Nikolaï Medtner, explique Michel Ducharme. J'ai reçu un très bel accueil partout. À Saint-Pétersbourg, devant un public surtout composé de spécialistes de la musique contemporaine, j'ai tout de suite senti que les gens étaient très ouverts, réceptifs, enthousiastes."
Partout où il s'est produit, Michel Ducharme a obtenu plus qu'un franc succès. Un véritable triomphe, au dire de Tatiana Mogilevskaya, chargée de cours à l'École des langues de l'Université Laval et directrice du Centre interuniversitaire Moscou-Québec. "À Saint-Pétersbourg, raconte-t-elle, plusieurs musicologues m'ont dit, après le concert, avoir senti que Michel Ducharme connaît bien les musiques allemande, française, italienne et russe, et que cette vaste culture musicale a donné une texture très riche à son interprétation."
Depuis leur retour, Tatiana Mogilevskaya reçoit régulièrement des courriels on ne peut plus élogieux sur les excellentes prestations du professeur. "Tout le monde, dit-elle, a été ébloui par la qualité de l'interprétation de Michel Ducharme. C'est un grand interprète. Les gens ont été impressionnés par son sérieux, sa culture et sa performance en chantant, sans aucun accent, des répertoires que peu de chanteurs russes maîtrisent en raison de leur difficulté. En plus, il a démontré beaucoup de générosité en donnant autant de concerts en si peu de temps." Selon elle, des suites sont à prévoir. "L'attaché culturel de l'Ambassade du Canada à Moscou, rencontré après les concerts, a dit vouloir que des liens beaucoup plus forts se tissent entre l'Université Laval et les institutions russes. En ce sens, nous avons fait une rencontre de trois ou quatre heures avec le doyen de la Faculté de musique de l'Université d'État de Moscou Lomonossov, "la" grande université de Moscou et la plus prestigieuse de Russie. Le doyen s'est dit très intéressé à des échanges avec l'Université Laval, notamment entre professeurs et étudiants."
Le public a été impressionné par sa culture et son exécution, sans aucun accent, de répertoires que peu de chanteurs russes maîtrisent en raison de leur difficulté
La révolution microtonale Ce voyage au pays des tsars est dû à l'initiative de la journaliste pigiste et réalisatrice Anne Antomarchi. Le Centre interuniversitaire Moscou-Québec, lui, a contribué à sa réalisation. Un des temps forts du séjour a été le récital-conférence donné au Musée Scriabine, à Moscou. Michel Ducharme a trouvé très émouvant le fait de se produire dans ce qui était à l'origine la résidence d'un des grands compositeurs du début du 20e siècle. Les pianistes Bruce Mather et Pierrette LePage l'accompagnaient durant le voyage. Au Musée, ils ont joué notamment deux oeuvres vocales pour deux pianos d'Ivan Wyschnegradsky. Comme l'explique le professeur, la musique de ce compositeur se joue avec l'un des deux pianos accordé un quart de ton plus bas. "Wyschnegradsky a exploré la musique microtonale. Cette musique utilise des intervalles plus petits que le plus petit intervalle sur un piano. L'espace musical audible est donc beaucoup plus large et plus subtil."
Sur la musique de Nikolaï Medtner, Michel Ducharme a le commentaire suivant: "L'émotion est très intense, la phrase musicale aussi. C'est une musique vraiment difficile, très pathétique. Elle demande beaucoup de résistance de la part du chanteur. Il faut chanter tout le temps, il n'y a pas de place pour reposer la voix." Il ajoute que le romantisme sied bien au caractère russe. "On trouve une sorte de mélancolie dans leur musique. Et il y a cette couleur chez les trois compositeurs que j'ai interprétés."
Michel Ducharme possède une grande expérience comme chanteur de musique contemporaine. Ses études à l'Université de Montréal, il les a faites en majeure partie en ce domaine. Il a par la suite beaucoup chanté avec des ensembles spécialisés. "J'ai donc une sorte d'expertise assez pointue dans un domaine que personne ou presque ne fréquente et qui me sert beaucoup dans le cas de Wyschnegradsky", dit-il. Son premier contact avec ce compositeur s'est fait grâce à Bruce Mather, qui est également compositeur. Puis est née l'idée d'enregistrer avec lui un disque consacré principalement à Wyschnegradsky, une première mondiale. Plusieurs des courriels reçus par Tatiana Mogilevskaya demandent d'ailleurs des copies de cet enregistrement | |