Savoir casser la glace
Des étudiants et des professeurs venus
des quatre coins du monde se retrouvent au PEPS pour réaliser
un rêve commun: apprendre à patiner!
Ils viennent d'Iran, du Maroc, de Tunisie, de Grèce,
de France, de Belgique, de Martinique, du Mexique et, quelques-uns,
beaucoup plus rares, du Canada. Tout les prédisposait
à ne jamais se rencontrer, sauf deux choses. La première,
ils ont choisi d'étudier ou d'enseigner à l'Université
Laval. La seconde, ils partagent le même rêve: apprendre
à patiner. Voilà pourquoi tous les mardis, les
membres de cette étrange et improbable brigade se retrouvent
sur une patinoire du Peps où, dans une atmosphère
à la fois studieuse et détendue, ils tentent de
maîtriser ce subtil art de glisse.
photo Marc Robitaille
Au centre, allongées sur la glace, Jasmine Roux-Perreault
et Isabelle Darisse entourées d'une partie de leur groupe
d'apprentis patineurs.
L'ambiance qui règne au sein du groupe rappelle les
liens qui unissent des compagnons d'armes. Et pourquoi pas? À
tour de rôle, ils reçoivent les consignes de leurs
monitrices Jasmine Roux-Perreault et Isabelle Darisse, montent
au front, exécutent les mouvements commandés et
rentrent à la base, leur corps portant souvent une meurtrissure
de plus qu'au départ. Leur camaraderie est fondue dans
les ecchymoses et soudée dans la glace. Ils étaient
24 lorsque le cours de patinage pour débutant,
offert par le Service des activités sportives, a commencé
en janvier. Plusieurs sont tombés au combat, mais la quinzaine
de vaillants soldats toujours debout - enfin presque toujours
debout - y mettent tout leur coeur. Si les freinages se transforment
parfois en spirales sans fin et que des virages croisés
conduisent à des vrilles qui culminent en piqués,
ce n'est surtout pas faute de bonne volonté.
L'attrait de l'exotisme
Le groupe est formé de quelques Québécois
"qui ont honte de ne pas savoir patiner", précise
Isabelle Darisse, mais surtout d'étudiants étrangers.
"Je crois que pour eux, le patinage fait partie de l'exotisme
du Québec. Par le biais des médias, ils connaissent
des patineurs de vitesse et des joueurs de hockey québécois
et ils croient que le patin est un mode de vie chez nous."
Les premiers cours sont assez ardus, reconnaît-t-elle.
"Les étudiants sont stressés, ils ont peur
de tomber et ils sont crispés comme des fourchettes. Le
simple fait de se tenir debout sur leurs patins constitue pour
eux un défi. Mais, en quelques semaines, ils font des
progrès spectaculaires."
C'est le cas de Florian Expert, étudiant en science politique
originaire de Bordeaux. "J'avais déjà patiné
à trois occasions en France, mais sans grand succès.
En janvier, je me suis dit aussi bien profiter de mon séjour
au pays du hockey pour voir ce que le Québec peut m'apporter
sur le plan de l'apprentissage du patin. Pendant les premiers
cours, ça a été la galère! Disons
que je ne l'avais pas dans le sang." L'apprentissage du
patin est particulièrement exigeant pour cet étudiant
qui doit composer avec une déficience visuelle. Son médecin
lui avait d'ailleurs déconseillé le patinage, jugeant
l'activité trop risquée pour son état. "Il
avait le rêve d'apprendre à patiner et on ne voulait
pas lui couper les ailes, raconte Isabelle Darisse. Nous avons
rencontré la coordonnatrice France Le Bel et nous avons
convenu de lui donner quelques leçons privées pour
voir s'il pouvait arriver à suivre le groupe. Comme tout
s'est bien passé, on s'est dit "on y va"".
Peu importe l'âge, apprendre à patiner comporte
son lot de difficultés, analyse Normand Teasdale, spécialiste
en motricité humaine à la Faculté de médecine.
"C'est une activité exigeante au plan de l'équilibre
parce qu'elle se pratique sur une surface glissante alors que
la base d'appui est diminuée. Chez les adultes, la peur
de tomber et le manque de confiance en soi peuvent aussi nuire
à l'apprentissage." Mais, le rêve d'apprendre
à patiner à l'âge adulte n'est pas hors de
portée, poursuit-il. "Il y a des apprentissages possibles
à travers toute la vie. Il faut toutefois y mettre le
temps. Le nombre d'heures de pratique active est le déterminant
le plus important dans l'apprentissage moteur."
De la théorie à la pratique
Mustapha Ouhimmou, étudiant au doctorat en génie
mécanique, pourrait sans doute décomposer toutes
les forces qui interviennent dans les mouvements du patinage.
"Je connais la théorie, mais la pratique c'est autre
chose, lance le jeune homme originaire du Maroc qui patine toujours
avec un casque et des jambières. "Ça fait
vraiment mal quand tu tombes!" Quant à savoir s'il
est plus du type patin artistique ou patin de vitesse, la réponse
est claire: "Le patin d'équilibre me suffit",
lance-t-il tout sourire. Mohammad Abtahi lui est clairement du
type patin artistique. "J'ai toujours aimé regarder
les compétitions de patinage à la télé.
Ça me fascinait, mais je n'ai jamais eu la chance de patiner
auparavant. Il faut dire que les patinoires sont rares en Iran",
explique le stagiaire postdoctoral en génie électrique.
Originaire de Winnipeg, où les occasions de patiner ne
manquent pourtant pas, Mariève Bonin n'a pas appris à
patiner étant petite comme la majorité des Canadiens.
Mais elle se soigne. D'ailleurs, elle n'y va pas par quatre chemins
lorsqu'on l'interroge sur ses objectifs personnels en patin.
"Les Jeux olympiques de 2010!", répond-elle
d'abord en riant. Plus sérieusement, l'étudiante
à la maîtrise en études littéraires,
comme la plupart des autres participants d'ailleurs, apprécie
le côté social du patinage. C'est d'ailleurs pour
pouvoir accompagner ses amis "sans avoir l'air trop poche"
qu'elle a décidé d'apprendre à patiner pour
de bon. "Je veux me me sentir assez à l'aise sur
patins pour pouvoir les suivre". Satisfaite de ses progrès?
"Je ne suis pas encore prête pour les Jeux de Vancouver,
mais mes amis ne le sont pas non plus!"
Parmi tous les participants, la palme de la persévérance
va sans conteste à Najat Bhiry, du Département
de géographie, qui suit pour la troisième fois
le cours pour débutant et qui entend le reprendre l'automne
prochain. "J'ai fait beaucoup de progrès, assure
la professeure originaire du Maroc. Au début, je ne pouvais
pas me tenir sur mes patins sans m'accrocher à la bande.
Je venais au cours avec un casque et des vêtements de ski
pour amortir mes chutes." Pourquoi s'astreindre à
pareil calvaire, lorsque de toute évidence, le patin ne
lui vient pas naturellement? "C'est pour faire plaisir à
mon fils qui voulait qu'on patine ensemble. Nous avons commencé
à apprendre en même temps et même s'il est
bien meilleur que moi, nous pouvons maintenant partager de beaux
moments sur une patinoire."
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