
Sous toutes réserves
Si l'eau cause bien des remous dans le
monde, le jour où une guerre éclatera à
cause d'un conflit relié au partage de l'or bleu est encore
loin, estime le géographe Frédéric Lasserre
Si aucun conflit relié directement à la pénurie
d'eau n'a encore éclaté dans le monde, il n'est
cependant pas exclu que la question du partage de l'eau ne soit
pas un jour une source de tensions pouvant menant éventuellement
deux ou plusieurs États frontaliers à se déclarer
la guerre. Cela dit, le concept de "guerre de l'eau"
est à manipuler avec prudence et doit toujours être
replacé dans le contexte économique, social et
politique des pays concernés. L'eau ne constitue donc
qu'une composante parmi un ensemble de facteurs.
C'est du moins l'avis de Frédéric Lasserre, professeur
au Département de géographie et spécialiste
en géopolitique de l'eau, qui a prononcé une conférence
ayant pour thème "L'eau, enjeu planétaire",
dans le cadre de la Journée mondiale de l'eau, le 22 mars.
Évoquant les "guerres de l'eau" célèbres
comme la Guerre des Six jours opposant Israël à l'Égypte,
la Jordanie et la Syrie, en 1967, et où les tensions avaient
augmenté à la suite de projet de détournement
des eaux du Jourdain, entre autres, Frédéric Lasserre
a rappelé que la question de l'eau était encore
aujourd'hui une pomme de discorde entre Israël et ses voisins.
Autre exemple: les tensions déjà existantes entre
des pays comme la Syrie, l'Irak et la Turquie, que traversent
le Tigre et l'Euphrate, compliquent les négociations quant
au partage des eaux. L'Égypte a toujours l'il ouvert sur
le Nil, entretenant un rapport de force avec son voisin éthiopien
qui voudrait bien s'abreuver librement à cette denrée
rare qu'est l'eau dans cette partie du monde. En somme, le partage
de l'eau cause bien des remous dans le monde, mais ne représente
qu'un facteur parmi d'autres dans la dynamique des pays.
"Plus l'économie agricole a un poids important dans
le développement d'un pays, plus il est difficile pour
un gouvernement de renoncer à ses parts d'eau", indique
Frédéric Lasserre. Si 800 millions de personnes
souffrent actuellement de la faim dans le monde, on prévoit
que la production alimentaire mondiale devra être doublée
d'ici l'an 2050 pour satisfaire les besoins d'une population
grandissante. Et qui dit production alimentaire dit besoins croissants
en eau et donc augmentation de la superficie des terres irriguées.
Ils sont au coton
Selon Frédéric Lasserre, l'exemple le plus
flagrant des désastres résultant d'un besoin d'eau
est celui de la mer d'Aral, bordée par le Kazakhstan et
l'Ouzbékistan, qui a presque disparu de la carte du monde,
les Soviétiques ayant décidé de détourner
les deux fleuves qui s'y déversaient pour irriguer les
champs de coton. De 1960 à 1990, la zone irriguée
en Asie centrale est passée de 3, 3 millions à
7,5 millions d'hectares et la région est devenue le 4e
producteur de coton au monde. Dans les années 1980, la
mer d'Aral, elle, a reçu dix fois moins d'eau douce qu'en
1950, le drainage intensif des fleuves ayant presque complètement
asséché ce qui était autrefois la 4e plus
grande mer intérieure au monde. "Si on arrête
la culture agricole là-bas, des milliers d'ouvriers au
chômage seront au chômage, dit Frédéric
Lasserre. C'est là qu'on se rend compte que les conditions
économiques qui prévalent dans une région
complexifient énormément la question du partage
de l'eau et la façon dont on en dispose."

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