Pour la nuit ou pour la vie?
L'amour en couple est devenu un sport extrême
À quelques jours de la Saint-Valentin, il fallait avoir
le moral amoureux bien accroché pour assister au débat
de Participe Présent le 6 février dernier au Musée
de la civilisation. Interrogés sur l'état de l'amour
en 2006 par l'animatrice Françoise Guénette, un
journaliste, une comédienne, une sexologue et un psychologue
ont en effet dressé un portrait plutôt triste et
acide des relations intimes. Peur de l'engagement, difficulté
à communiquer, narcissisme, quête effrénée
de la nouveauté, règne des normes pornographiques,
voilà quelques-uns des obstacles qui empêcheraient
tant de couples de durer. Et transformeraient bien des histoires
d'amour potentielles en de courtes aventures d'une nuit.
"Je suis un "coupliste" pratiquant mais pessimiste",
confie d'emblée David Desjardins, rédacteur en
chef de Voir Québec, marié depuis neuf ans.
Ce défenseur de l'amour durable constate que le couple
n'a pas vraiment la cote dans la société actuelle.
La publicité représente la plupart du temps le
père de famille comme un mou aux ordres de son épouse
dominatrice, tandis que les femmes seraient au mieux de grandes
carriéristes, au pire des mères mal fagotées,
entièrement dévolues à leurs enfants. Rien
d'étonnant dans ces conditions, constate le journaliste,
que ses amis célibataires et fêtards le jugent "drabe",
lui qui a choisi la vie de famille. Une vision que partage le
psychologue Yvon Dallaire: "Nous vivons une époque
pleine d'illusions et de paradoxes, souligne cet auteur de nombreux
ouvrages sur le couple. Jamais nous n'avons disposé d'autant
de moyens de communication, et pourtant nous avons tant de difficultés
à communiquer. Dans les grandes villes, les possibilités
de rencontres sont infinies, et pourtant on compte de 35 % à
40 % de célibataires."
Distinguer le désir de l'amour
Selon Yvon Dallaire, ces contradictions s'expliquent en grande
partie par la difficulté de dépasser la simple
découverte de l'autre pour vivre pleinement son intimité.
"Les crises sont nécessaires dans un couple pour
nous aider à grandir et à dépasser certains
stades. Sinon, on reproduit toujours les mêmes scénarios
avec d'autres partenaires", remarque-t-il. La sexologue
Jocelyne Robert convient elle aussi qu'il peut sembler ardu d'installer
un couple dans la durée lorsque l'ensemble de la société
de consommation nous pousse constamment à tout changer.
Cependant, elle insiste sur le bonheur que récompense
parfois de tels efforts. "On perd parfois le sens de la
fête dans la durée, dit-elle. Ce qui nous a poussé
à nous unir au départ, c'est bien le plaisir."
De son côté, la comédienne Nancy Bernier,
qui jouait un personnage très caustique face aux relations
amoureuses dans le récent spectacle Show d'vaches au
Bitch Club Paradise, remarque que "les valeurs d'engagement
et de risque qui donnent un sens à l'amour ne sont pas
à la mode actuellement. Bien des gens de mon entourage
me trouvent chanceuse d'être en couple, mais je travaille
fort", souligne-t-elle. Joceyne Robert va plus loin en pointant
du doigt le rôle néfaste joué par l'invasion
de la pornographie dans les relations intimes. De plus en plus
la sexologue reçoit des jeunes abreuvés de porno
dès leur plus tendre adolescence, qui souffrent de ne
pas parvenir à nouer de véritables relations avec
leurs partenaires. Un peu comme si les attentes trop élevées
face aux performances sexuelles brouillaient le message.
Que faire alors pour mettre la main sur le Saint-Graal, autrement
dit l'amour? Commencer peut-être par être heureux
tout seul sans fonder d'attentes démesurées sur
l'autre, conseille le psychologue Yvon Dallaire, appuyé
par la comédienne Nancy Bernier. Convenir que le couple
constitue un ménage à trois entre toi, moi et nous
et ne menace donc pas l'intégrité de l'individu,
suggère la sexologue Jocelyne Robert. Et David Desjardins,
le rédacteur en chef de Voir Québec, dans
tout ça? Il pratique l'amour en couple comme sport extrême,
en gardant en tête que son combat est perdu d'avance mais
qu'il veut "le mener le mieux possible".
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