La pauvreté en mouvement
Le croissant défavorisé du
centre-ville de Québec déborde maintenant sur d'anciennes
banlieues
Limoilou est-il en passe de devenir le nouveau quartier Saint-Sauveur?
Peut-être, si l'on en croit les résultats d'une
étude menée par Laurence Cliche, étudiante
au Département de géographie. Dans sa recherche
portant sur l'évolution spatiale du phénomène
de la pauvreté dans la Communauté urbaine de Québec
(CUQ) entre 1975 et 2001, Laurence Cliche constate que, de la
fin des années 1970 au début des années
1990, la pauvreté, auparavant concentrée au centre-ville,
a nettement progressé vers d'autres quartiers. Aujourd'hui,
la pauvreté se trouve principalement dans une vaste zone
ovale qui va de l'ouest de la vallée de la rivière
Saint-Charles à la baie de Beauport, en incluant le sud
de Charlesbourg, le sud-est et le sud-ouest de Beauport, de même
que quelques îlots le long de la rivière Saint-Charles.
"Depuis le début des années 1990, le quartier
Limoilou a connu une certaine détérioration sociale
et, surtout, une détérioration économique,
ce qui nous porte à le comparer à Saint-Sauveur,
dit Laurence Cliche. En fait, Limoilou est dans une période
de transition où la pauvreté progresse rapidement
et rejoint de plus en plus celle du cur de la ville. C'est un
quartier à surveiller dans les prochaines années,
d'autant plus que la Ville de Québec n'y prévoit
aucune revitalisation majeure à court terme."
Sur les traces de son père
Fait intéressant, Laurence Cliche est la fille de
Pierre Cliche, premier chercheur à s'être penché
sur la géographie sociale à Québec. Dans
une importante étude réalisée en 1975 et
consultée aujourd'hui encore par les spécialistes,
Pierre Cliche a établi une répartition géographique
des cohortes les plus démunies qui forment un croissant
autour de la ville de Québec. Ce "croissant de pauvreté"
était une bande de terre de forme concave située
entre la falaise de la colline de Québec et le fleuve
Saint-Laurent qui s'étendait de Sillery à Duberger.
Qualifié par Pierre Cliche de ghetto socio-économique,
cet espace se caractérisait par des conditions de logement
inadéquates, des loyers à prix modique et le fait
que les gens se trouvaient à proximité de leur
lieu de travail. Les paroisses comprises dans le croissant de
pauvreté étaient Notre-Dame-des-Victoires, Notre-Dame-de-la-Paix,
Saint-Jean-Baptiste, Saint-Vincent-de-Paul, Saint-Roch, Notre-Dame-de-la-Jacques-Cartier,
Saint-Sauveur, Saint-Malo, Sacré-Coeur, Notre-Dame-de-Grâce,
Saint-Joseph, Saint-Charles-de-Limoilou et Saint-Esprit.
Les choses ont bien changé depuis, notamment avec la revitalisation
du quartier Saint-Roch dans les années 1990 et l'embourgeoisement
du secteur du Vieux-Port où on trouve très peu
de familles traditionnelles et d'enfants en même temps
qu'un niveau de scolarité supérieur à la
moyenne de la CUQ. Le quartier Saint-Jean-Baptiste, lui, occupe
une place à part, selon Laurence Cliche, abritant "une
pauvreté temporaire" puisque les étudiants
qui y habitent actuellement ont de grandes chances de quitter
le quartier à la fin de leurs études pour s'établir
en banlieue avec leur petite famille. Ceux qui décideront
d'y rester choisiront peut-être de devenir propriétaires,
accélérant du même coup la revitalisation
et l'embourgeoisement du quartier.
Le blues de la basse-ville
"Quand on est de la basse-ville, on n'est pas de la
haute-ville", chantait Sylvain Lelièvre qui lui-même
a vu le jour dans le quartier Limoilou. Il ne croyait pas si
bien dire. Dans sa recherche, Laurence Cliche souligne en effet
que l'imaginaire collectif s'est nourri au cours des siècles
de cette séparation physique et sociale. Dès le
17e siècle, les "petites gens" (ouvriers, matelots,
journaliers) travaillaient et logeaient dans la basse-ville.
Au fil du temps, la classe ouvrière occupera ce territoire
alors que les gens plus fortunés s'établiront à
la haute-ville, alimentant mutuellement les préjugés
les plus tenaces liés aux deux groupes. "Aujourd'hui
encore, note la géographe, basse-ville rime avec pauvreté,
itinérance et problèmes sociaux pour une grande
partie de la population."
Quant à savoir si la pauvreté a augmenté
à Québec, Laurence Cliche estime qu'un léger
appauvrissement s'est fait sentir entre 1991 et 2001, dans le
sens où plus de ménages vivent sous le seuil du
faible revenu, tel que défini par Statistique Canada.
"La pauvreté existe encore et toujours dans le centre
de l'ancienne CUQ, mais elle a bel et bien rejoint les banlieues
les plus anciennes de la ville", constate-t-elle.
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