Les invasions barbares
Selon l'ethnologue Martine Roberge, le
gore est une manifestation parmi tant d'autres de la violence
ambiante, tant dans la fiction que dans la vraie vie
Un scénario aussi mince qu'une feuille de papier, une
histoire qui ne tient pas debout, des personnages typés
à outrance, et surtout du sang, beaucoup de sang qui éclaboussera
l'écran jusqu'à vous faire lever le coeur: voici
ce qui caractérise le film de gore, littéralement
"sang coagulé", en anglais. Ces temps-ci, un
film de ce genre tient l'affiche à Québec, figurant
même dans les dix films les plus populaires au box-office.
Il s'agit de L'auberge, version française de Hostel.
En résumé, l'histoire est celle de deux jeunes
Américains en vacances en Europe ayant malheur de se faire
prendre au piège d'un boucher sanguinaire qui leur fera
subir les pires tortures.
Si certains spécialistes affirment que cet étalage
de violence peut inciter le spectateur à vouloir régler
ses comptes avec un voisin de palier au moyen d'une tronçonneuse
à la sortie d'une représentation de ce sous-genre
du film d'horreur, Martine Roberge, professeure d'ethnologie
au Département d'histoire, estime pourtant que les amateurs
du genre ne sont pas dupes et qu'ils savent faire la part des
choses.
"Certaines scènes donnent tellement dans la démesure
que cela devient absurde et irréaliste", explique
l'ethnologue, dont les travaux portent principalement sur les
croyances et l'imaginaire de la culture populaire contemporaine.
"Il est clair que le spectateur moyen peut difficilement
s'associer ou s'identifier à cet hyperréalisme
absolu qui finit par être carrément risible. En
définitive, il faut considérer les films de gore
comme de purs produits de distraction et de divertissement."
À ceux qui pensent que ces films contribuent à
banaliser la violence, Martine Roberge répond qu'on ne
compte plus les productions cinématographiques où
abondent les scènes de gore, qu'il s'agisse de films d'aventures
ou de drame psychologique. "Si effet d'entraînement
ou de banalisation il y a, précise-t-elle, c'est bien
plus par rapport à la violence réelle déjà
existante qu'à la création fictive et imaginaire,
dont le gore n'est qu'une manifestation parmi d'autres."
La prochaine victime
Transcription symbolique et allégorique de sentiments
barbares qui habitent l'être humain et qui trouvent dans
la projection cinématographique une échappatoire
inespérée, le gore est en quelque sorte une fête
de l'image qui masque et traduit les angoisses des individus.
Mais l'histoire s'arrête là pour le gore si on peut
dire, en ce sens qu'il fait pâle figure face au cinéma
d'horreur, le vrai, celui dont les personnages plus vrais que
nature vous trottent longtemps dans la tête, du genre Le
silence des agneaux, avec son psychopathe qui court encore
les rues et dont vous serez peut-être la prochaine victime.
"
Plus les peurs sont diffuses, plus elles sont suggérées
au lieu d'être montrées, plus le film montre des
situations crédibles et plus le spectateur risque de se
faire prendre au jeu, dit Martine Roberge. Les films d'horreur
ont ceci de bon qu'ils nous incitent à réfléchir
sur nos propres agissements. Apprivoisant nos démons intérieurs,
ils nous troublent et nous fascinent à la fois. Ils nous
aident à régler nos conflits et passer à
travers notre propre vie, dont nous sommes nécessairement
les héros."
Martine Roberge est l'auteure de L'art de faire peur: des
récits légendaires aux films d'horreur, paru
aux PUL en 2004.
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