La longue marche
Enfin sorti des ornières de la religion
et de la quête identitaire, le cinéma québécois
touche aujourd'hui à des thèmes universels
Depuis l'an 2000, la part du cinéma québécois
sur le marché n'a pas cessé de grimper, passant
de 4,5% à 18,2% en seulement cinq ans. En fait, l'année
2005 aura été une année exceptionnelle pour
notre cinéma, avec notamment des films comme C.RA.Z.Y
et Aurore qui talonnent de près des super productions
américaines comme le dernier épisode de Star
Wars. Selon Esther Pelletier, professeure de cinéma
au Département des littératures, la popularité
grandissante du cinéma québécois s'explique
par la présence de bons scénarios, en somme de
bonnes histoires, qui se transforment à leur tour en bons
films, guidés de main de maître par des cinéastes
de talent ayant une vision personnelle en même temps qu'universelle.
"Je dirais que ce qui fait la spécificité
du cinéma québécois, c'est qu'il est justement
de plus en plus comme les autres, explique Esther Pelletier.
On sait raconter des histoires avec des thèmes qui touchent
les gens, qui font vibrer leurs cordes sensibles, qui les font
rire ou pleurer. Par exemple, je pense au film de Bernard Émond,
La Neuvaine, qui traite de la quête de sens. Rien
n'est clair dans ce film, tout est suggéré et porte
à de multiples interprétations. On fait confiance
à l'intelligence du spectateur."
Bons scénarios, beaux personnages
Tourné vers la question nationale, empêtré
dans des questions d'ordre religieux et identitaire en plus d'être
sous-financé, le cinéma québécois
a mis du temps à se trouver. Dans les années 1980,
la réorganisation de la structure de financement du cinéma
québécois marque un tournant décisif. L'argent
est mis dans le développement, on encourage la recherche
d'idées, ce qui des effets très positifs sur la
création cinématographique. Selon Esther Pelletier,
le film de Denys Arcand, Le Déclin de l'empire
américain, réalisé en 1986, illustre
bien la force que peut avoir un scénario solide et bien
écrit, avec des personnages forts et crédibles.
"Le financement ouvre des portes, oui, mais il n'en demeure
pas moins qu'il existe un risque que le cinéma québécois
se transforme en cinéma de producteur, au détriment
du cinéma d'auteur, souligne t-elle. Ce sont toujours
les mêmes producteurs qui sont en scène et on pourrait
ainsi mettre en péril l'innovation."
Que penser de grosses productions populaires comme Aurore
ou Un homme et son péché? " Ce n'est
pas mauvais en soi car ces films rallient la population, dit
Esther Pelletier. Quand on aura fait 22 Séraphin
et autant d'Aurore, on se tournera vers autre chose. À
l'instar du cinéma français ou américain,
il y a de tout dans notre cinéma et c'est très
bien ainsi. Vive la pluralité de genres!" Interrogée
sur son coup de cur cinématographique de l'année,
Esther Pelletier n'hésite pas une seconde: "C'est
le magnifique C.R.A.Z.Y., que je vante d'ailleurs à
tous mes étudiants. Ce film traite d'un thème universel,
l'homosexualité, tout en ayant une touche québécoise
très personnelle. Il représente vraiment le bon
cinéma québécois d'aujourd'hui.
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