
Le courrier
Les erreurs minérales de Richard Desjardins
L'émission Les francs-tireurs de Télé-Québec
présentait récemment une entrevue par Patrick Lagacé
sur la perception de Richard Desjardins sur l'industrie minérale
au Québec. Comme ce reportage et l'entrevue principale
comporte plusieurs affirmations sur l'industrie minérale
au Québec, il semble important de séparer le vrai
des opinions non fondées parmi les affirmations livrées
durant l'émission. Tout débat public sur l'industrie
minérale devra se faire sur une information véridique,
juste et complète.
Le poète Richard Desjardins connaît bien la puissance
des mots. On peut donc se demander pourquoi il mentionne toujours
la "loi des mines" alors qu'il s'agit de la "Loi
sur les mines", si ce n'est pour donner la fausse impression
que c'est la loi des compagnies minières.
M. Desjardins mentionne aussi durant l'entrevue que les droits
miniers ont priorité sur l'utilisation du territoire.
Il n'en est rien car le droit minier, le claim, donne
uniquement le droit de rechercher des substances minérales.
Ce n'est pas un droit foncier. Le claim ne donne aucun
droit d'occupation du territoire comme l'affirme M. Desjardins.
Pour rechercher des minéraux sur un terrain privé,
le prospecteur doit s'entendre à l'amiable avec le propriétaire
du terrain. Sinon, il peut demander l'expropriation à
une cour de justice.
La Loi sur les mines assure le droit d'exploiter le gisement
qui est découvert. L'exploitation d'un gisement requiert
l'autorisation du gouvernement et l'exploitation doit répondre
aux exigences techniques et environnementales qui comprennent
un plan de restauration du site à la fin de l'exploitation.
Dans le cas de la construction d'une mine, il faut acquérir
les droits fonciers sur le terrain de la future mine et, en cas
de différend, une Cour de justice décidera s'il
y a expropriation et à quel prix. Une compagnie ne peut
pas exproprier n'importe qui n'importe quand, contrairement à
ce qu'affirme M. Desjardins, qui ne cite d'ailleurs aucun cas
concret pour appuyer ses affirmations.
Quant à l'affirmation que le monde minier est un milieu
"opaque", elle est curieuse et à la limite offensante
pour les milliers d'investisseurs qui possèdent des actions
dans des sociétés minières ou des parts
dans des fonds communs de placement. En fait, les sociétés
juniors d'exploration sont en constante recherche de capital
de risque, et cette recherche implique une ouverture au public
qui est fort différente du qualificatif "opaque"
utilisé par M. Desjardins. D'ailleurs, force est de constater
que M. Desjardins a une perspective très folklorique de
l'industrie minérale au Québec. Ses commentaires
sur le colonialisme des entreprises et la mortalité dans
les mines sont déconnectés de la réalité.
M. Desjardins montre son ignorance de la géologie lorsqu'il
affirme que le territoire du lac Kanasuta n'a pas de potentiel
géologique, car cela fait 40 ans qu'on n'y a rien trouvé.
En premier lieu, il faut rappeler que les gisements de minéraux
se forment dans la croûte terrestre sans intervention de
l'Homme. Ainsi, on ne peut trouver de gisements que là
où la nature les a placés. Or, le territoire du
lac Kanasuta chevauche une grande structure géologique,
la faille de Cadillac, qui va de Val-d'Or à Larder Lake
en Ontario. Cette structure porte un grand nombre de gisements
qui ont été exploités ou qui sont en exploitation,
et elle offre le meilleur potentiel au Québec pour la
découverte de nouveaux gisements. À cet égard,
la compagnie Agnico-Eagle met en production le gisement Lapa
entre Malartic et Cadillac, une région où il n'y
avait pas eu de découverte depuis plusieurs années,
à l'image du territoire du lac Kanasuta. La mine Lapa
se trouve en bordure de la route 117; à l'évidence,
de nouvelles mines peuvent être trouvées dans des
territoires qui ont déjà fait l'objet d'exploration
par le passé.
M. Desjardins affirme aussi qu'on a moins de chance de trouver
une mine que de jouer à la Loto 6/49. Pourtant, les études
scientifiques montrent une probabilité de succès
de 1/1000, grandement supérieure à l'espérance
de gain offerte par Loto-Québec. Si le potentiel de succès
était moins bon qu'à la Loto, on peut parier que
les investisseurs préféreraient jouer au 6/49 plutôt
que d'investir dans les mines!
M. Desjardins souhaite l'établissement d'une aire protégée
sur le territoire du lac Kanasuta. Or, sa proposition se heurte
au potentiel en mines de ce territoire et aux droits miniers
déjà concédés par l'État.
L'occupation du territoire est un choix que la société
doit faire. Elle doit prendre en compte les usages récréatifs,
économiques et la nécessité de protéger
des habitats importants à divers points de vue. La question
que la société doit se poser, et ultimement trancher,
est l'opportunité de soustraire à un territoire
un ou plusieurs usages. À mon avis, soustraire un territoire
avec un fort potentiel minier n'est pas souhaitable pour la société
et surtout pas pour les générations futures. M.
Desjardins qualifie l'attitude de l'industrie minérale
d'"infantile" au sujet des aires protégées.
Pourtant, l'industrie ne s'est pas opposée à l'établissement
d'une autre aire protégée dans le secteur de Vaudray-Joannès,
au sud de la faille de Cadillac, et dans un secteur qui possède
un potentiel minéral moins important. Il y a donc, à
l'évidence, des territoires que l'industrie minérale
ne considère pas comme prioritaires car ils ont un plus
faible potentiel minéral.
M. Desjardins voudrait soustraire le territoire du lac Kanasuta
à l'exploration et à l'exploitation minérales.
"Qu'ils passent par l'Ontario", clame-t-il, si des
gisements s'y trouvent dans le sous-sol. La belle affaire!
Si l'exploration ne découvre pas de mines au Québec,
c'est l'avenir de l'industrie minérale du Québec
qui est en danger, et cette industrie comprend autant les mines
que les usines de transformation à Montréal et
à Valleyfield, entre autres. Mais ce syndrome du "pas
dans la cour de mon chalet" est plus pernicieux. Il implique
que l'exploitation des minéraux doit se faire dans d'autres
pays, probablement moins développés, et donc que,
pour satisfaire nos besoins en métaux, d'autres populations
devront accepter l'impact de cette exploitation. Est-ce une attitude
éthique? Je crois que non, et qu'il faut assumer les conséquences
de nos besoins en métaux. Que ferait le chanteur sans
son micro?
GEORGES BEAUDOIN
Professeur de géologie
Faculté des sciences et de génie
Lettre ouverte au recteur
Monsieur le recteur,
À plusieurs reprises, vous avez affirmé qu'il
fallait accorder aux sciences humaines, dont les sciences de
l'éducation, la place qui leur revient dans l'Université,
conscient de leur importance pour la société québécoise.
En ce 8 décembre, la fête de notre Université,
je désire vous faire part de deux problèmes auxquels
nous nous heurtons en tant que professeurs en sciences de l'éducation.
J'ai le vif sentiment que notre Faculté agonise, faute
de ressources adéquates pour relever les défis
d'une formation de qualité, et, au premier rang, de professeurs.
À cet égard, nous sommes plusieurs à penser
que notre Faculté est depuis longtemps désavantagée
par rapport à d'autres. Notre tâche, même
si elle est passionnante, est de plus en plus lourde et il devient
presque impossible de l'accomplir correctement sans mettre en
péril notre santé, délaisser nos proches
et appauvrir notre vie culturelle et sociale. Être un universitaire,
c'est d'abord faire un travail intellectuel: réfléchir,
lire, écrire, construire des savoirs et voir à
leur appropriation par les étudiants. Cela demande du
temps et ne peut se réaliser dans un contexte d'urgence
et d'éparpillement, de surcharge systématique.
Or, si nous voulons donner les meilleurs cours possibles aux
étudiants d'aujourd'hui, travailler de concert avec nos
collègues, faire de la recherche, former des étudiants
aux cycles supérieurs, prendre, à notre tour, des
responsabilités administratives et répondre, même
avec parcimonie, aux nombreuses demandes du milieu de l'éducation
qui est si désemparé, nous sommes devant une mission
impossible qui génère épuisement, désespoir
et frustration. Quand jugera-t-on urgent d'attribuer des postes
de professeurs en nombre suffisant à notre faculté
(en dix ans, le Département d'études sur l'enseignement
et l'apprentissage a perdu plus du tiers de ses effectifs professoraux
alors que le nombre d'étudiants et de recherches subventionnées
ne cesse d'augmenter)? La pénurie de professeurs a pour
effet que 70 % des cours du programme de formation à l'enseignement
préscolaire et primaire sont donnés par des chargés
de cours.
Comme vous le savez, la formation des enseignants du préscolaire,
du primaire et du secondaire est maintenant étalée
sur quatre ans. Cela nous oblige à offrir chaque année
un très grand nombre de cours à des cohortes d'environ
250 étudiants par programme de baccalauréat, dont
le ratio professeur/étudiant est très élevé.
La plus grande partie du corps professoral est donc obligée
d'y consacrer une part démesurée de sa tâche.
En conséquence, pour plusieurs professeurs, l'enseignement
aux études supérieures, l'encadrement d'étudiants
et la recherche constituent une surcharge de travail.
De plus, pour des raisons strictement financières, l'Université
nous oblige à accueillir dans nos programmes un bon nombre
d'étudiants qui n'ont pas les acquis nécessaires
à la poursuite d'études universitaires, ne maîtrisent
pas suffisamment la lecture et l'écriture, parlent un
français fort différent de celui qu'on attend des
enseignants québécois et n'ont comme culture de
référence que la culture de masse. Fait inquiétant,
au cours des deux dernières années, les programmes
de formation en enseignement secondaire ont admis des étudiants
avec les plus basses cotes R (rendement scolaire au collégial)
de tous les programmes contingentés du campus (en 2004,
la plus faible cote R en ergothérapie a été
de 31 alors qu'en enseignement du français au secondaire,
elle a été de 21!). Ne pourrions-nous pas viser
la qualité plutôt que la quantité, quitte
à sacrifier quelques milliers de dollars au cours des
prochaines années? À moyen terme, cela aurait un
effet positif sur la qualité de la formation et nous pourrions
alors être fiers de nos finissants, sachant qu'ils pourront
s'acquitter adéquatement de leur responsabilité
sociale.
Non, dans le domaine des programmes de formation à l'enseignement,
l'Université Laval n'atteint pas l'excellence! Monsieur
le recteur, former un enseignant compétent est-il moins
important que former un médecin, un pharmacien ou un architecte?
Quand l'Université Laval nous donnera-t-elle les moyens
de former les meilleurs enseignants possibles en nous permettant
de concentrer nos efforts sur ceux qui veulent et peuvent réussir
des études universitaires et acquérir ainsi de
réelles compétences professionnelles pour former
les futures générations?
SUZANNE-G. CHARTRAND
Professeure agrégée
Faculté des sciences de l'éducation
Ont aussi signé cette lettre: Jean Dionne, Érick
Falardeau, Clermont Gauthier, Louise Guilbert, Pierre Pagé,
Denis Simard, Hélène Ziarko, professeurs au Département
d'études sur l'enseignement et l'apprentissage
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